La fréquence des accidents du travail est à la baisse depuis 15 ans en France, excepté pour le secteur de l’aide et des soins à la personne, qui arrive chaque année en tête du classement effectué par l’Assurance maladie. Conditions de travail difficiles, manutentions nombreuses, prises en charge complexes … Ces multiples risques professionnels ont été largement pointés par le rapport El Khomri sur l'attractivité des métiers du grand âge.
Sur le podium de la sinistralité (ou taux de sinistres) liée aux accidents du travail (AT), c’est toujours l’aide à domicile qui occupe la première marche (1) : 98,6 AT pour 1 000 salariés en 2017. C’est trois fois plus que la moyenne nationale, tous secteurs confondus. Même les maçons, les menuisiers ou les mécaniciens industriels s'en tirent mieux.
Un constat alarmant
Pire, depuis dix ans, le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) est parvenu à réduire de 29 % les AT, alors que, dans le même temps, le secteur de l’aide et des soins à la personne (qui englobe l’aide à domicile et l’hébergement des personnes âgées) a vu leur nombre progresser de 45 %. Problématique numéro un du secteur : les manutentions et les chutes, à l’origine de troubles musculo-squelettiques (TMS).
Face à ce constat alarmant, Emmanuelle Paradis, chef de projet « Prévention et santé au travail » à Chorum-Cides, se veut un peu plus nuancée : « Selon nos études sur l’absence au travail pour raisons de santé dans la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif et celle de l’aide à domicile, le nombre d’AT/MP est plutôt stable entre 2012 et 2016, quoiqu’élevé par rapport au reste de l’économie sociale et à l’ensemble du salariat », observe-t-elle.
Avant de préciser : « il y a par contre une aggravation de la sinistralité des arrêts maladie ordinaires. Évidemment, si cela augmente dans ce secteur-là alors que cela n’augmente pas ailleurs, c’est qu’il y a un lien entre ces arrêts maladie ordinaires et le travail. »
Un secteur sous tension
Accidents du travail, maladies professionnelles, arrêts de travail… Comment expliquer une sinistralité si forte ? « Des salaires peu élevés, des conditions de travail difficiles, une image des métiers peu valorisante et des prises en charge de personnes aidées ou soignées de plus en plus complexes dues au polypathologies, maintiennent ce secteur sous tension », avance Carole Allard, chargée de prévention à l’Assurance Maladie - Risques professionnels.
C’est aussi « un secteur qui se développe rapidement pour répondre aux besoins croissants d’une population vieillissante et qui doit s’organiser et s’adapter en termes de santé au travail. »
Des freins multiples
Pour Nadia Rahou, chargée de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), « l’activité de soins génère de la complexité que l’on ne retrouve pas dans le BTP : le fait de travailler auprès d’un public vulnérable, la variabilité des situations de travail et l’isolement des aides à domicile notamment. »
Pour elle, les conditions d’emploi jouent aussi, « avec une pyramide des âges assez élevée où le temps partiel constitue souvent la norme… Tous ces facteurs entravent les politiques de prévention des risques professionnels ».
Cercle vicieux
En perturbant les services et en générant une surcharge de travail et de potentielles tensions au sein des équipes, la sinistralité nuit à la qualité de l’accompagnement, dégrade l’image des structures auprès des bénéficiaires et de leurs familles, tout en contribuant à renforcer les problèmes de recrutement. Bref, un cercle vicieux.
Sur quels leviers les employeurs peuvent-ils agir ? La prévention peut tout d’abord passer par des changements organisationnels : travail sur la gestion des plannings, interventions d’ergonome ou d’ergothérapeute pour mieux analyser les situations de travail, groupes d’échange de pratiques…
La formation à la prévention des risques de l’ensemble du personnel constitue également un indispensable. Tout comme l’achat d’équipements permettant de réduire la pénibilité des manutentions (rails plafonniers, lève-personnes, draps de glisse, poignée de traction…).
Des aides techniques sous-utilisées
Mais acquérir des aides matérielles ne suffit pas. Encore faut-il bien les choisir. Et associer les professionnels de terrain aux choix. Sinon il y a de grandes chances pour que les outils en question, aussi performants soient-ils, ne soient pas utilisés.
« Les outils d’aide à la manutention sont très largement sous-utilisés, reconnaît Carole Gayet, experte d’assistance conseil à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). C’est en partie de notre faute, nous préventeurs, car nous avons parachuté des équipements sans avoir correctement expliqué au personnel comment les intégrer, de manière fluide et naturelle, à leur activité de prendre soin. Nous n’avons pas su donner du sens à ces équipements. »
Co-construire la démarche
La clé de réussite est la co-construction. L’ensemble des acteurs (direction, cadres intermédiaires, professionnels de terrain, instances représentatives du personnel…) doit être associé à la démarche.
Pour Guillaume Boucheron, responsable de la protection sociale et de la santé chez Nexem, « le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) est un minimum : il permet de dresser un constat, d’évaluer les risques et de bâtir des solutions. Pour fonctionner, une politique de prévention et d’amélioration de la qualité de vie au travail doit être portée par une démarche volontaire partagée entre la direction et les salariés ».
Agir en prévention
Dans les Pyrénées-Orientales, l’association Vivre le 3e âge, qui gère deux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et emploie 130 salariés, s’est engagée, avec l’appui de la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), dans une démarche de prévention.