Dans une tribune libre*, Joran Le Gall, assistant de service social et ex-président de l'Anas, revient sur le rapport de la Cour des comptes consacré à l'accompagnement social généraliste. Il déplore un document s'attaquant aux symptômes plutôt qu'aux problèmes et qui n'aide pas à sortir de la crise du travail social.
Dans un rapport publié en janvier, la Cour des comptes préconise une refonte de la formation des professionnels du travail social chargés de l’accompagnement social généraliste, incluant l’arlésienne de la fusion du diplôme d’État d’assistant de service social (DEASS) avec ceux d’éducateur spécialisé (DEES) et de conseiller en économie sociale familiale (DECESF).
Mais à l’image de la parabole de la paille et de la poutre, loin d’apporter des solutions réalistes aux défis du secteur, le rapport s’enferme dans une vision technocratique et déconnectée des réalités du terrain.
Un rapport qui s'attaque aux symptômes
Sous couvert d’une neutralité gestionnaire, le rapport traduit une orientation politique marquée, en ignorant les causes profondes de la crise que traverse le travail social.
En d’autres termes, il s’attaque aux symptômes plutôt qu’aux problèmes. Il réduit l’accompagnement social à l’« encadrement de la population », trahissant une vision paternaliste, administrative et normative du travail social, où l’humain devient une variable à gérer plutôt qu'une personne à soutenir. Ce glissement lexical traduit une conception technocratique du travail social, où la relation humaine se dissout dans des tableaux de suivi.
Plutôt que d’interroger l’affaiblissement des services publics, la précarisation des professionnels et l’aggravation de la situation des personnes accompagnées, confrontées à toujours plus de complexité, la Cour préfère traquer des indicateurs mesurables, comme si le service social pouvait se réduire à une somme de rendez-vous fixés ou d’actes administratifs accomplis.
Or, comme toute profession à pratique prudentielle, la qualité du service social ne peut être saisie par de simples statistiques tirées de solutions de « reporting » obsolètes par nature, aucun référentiel ne pouvant prévoir l’ensemble des situations rencontrées. La subjectivité ne peut s’objectiver.
Tout réformer ?
Le constat dressé par la Cour est sévère : manque de pilotage, intensité insuffisante de l’accompagnement, absence d’outils d’évaluation. Et la conclusion est sans appel : il faut tout réformer.
Un verdict sans aucune concertation avec les professionnels représentant la profession (souvent bénévolement et durant leurs congés), sans prise en compte des expériences de terrain.
Cette frénésie réformatrice et gestionnaire intervient dans un contexte où les transformations successives des formations et des pratiques se sont enchaînées aveuglément sans qu’aucun véritable bilan ne soit réalisé.
Le travail social est conduit comme un pantin, soumis à des empilements d’injonctions contradictoires par des politiques souvent incapables de piloter la politique publique de l’accompagnement social.
Vision biaisée du secteur
Le rapport repose sur une vision biaisée du secteur. Il limite l’analyse de l’accompagnement social généraliste aux seuls départements et caisses d'allocations familiales (CAF) – des institutions déjà si différentes –, alors que de nombreuses autres institutions et professionnels y contribuent. C’est comme si l’on réformait le statut des infirmiers libéraux sur la base d’un audit hospitalier.
Comment peut-on proposer de fusionner trois diplômes différents (DEASS, DEES et DECESF) sans évaluer les conséquences pour les champs professionnels concernés ? Le rapport évacue ainsi des questions essentielles : la reconnaissance des professionnels, la spécificité des différents secteurs, l’attractivité des métiers ou encore leur forte sinistralité.
Déqualification programmée
Cette fusion des diplômes vise à créer un professionnel plus « polyvalent ». Mais cette déqualification programmée, présentée comme une solution aux difficultés de recrutement, ne ferait qu’affaiblir encore davantage la qualité de l’accompagnement. La complexité croissante des situations exige au contraire une expertise renforcée, une exégèse qui offre l’occasion de dépasser le sentiment d’impuissance.
Pourtant, le rapport ignore les alternatives proposées par de nombreux acteurs du secteur telles que l’allègement de la charge administrative des professionnels et nous offre le portrait caricatural d’un projet de politique publique « en silo ».
Une analyse simpliste…
Enfin, la Cour minimise l’effet du recul des services publics de proximité, de la fermeture des guichets et de l’affaiblissement du maillage partenarial ainsi que l’absence de coordination. Pourtant, ces phénomènes sont largement documentés par des chercheurs et des institutions comme le Défenseur des Droits.
Réduire la crise du secteur à une question d’uniformisation des diplômes relève d’une analyse simpliste et erronée.
Par ailleurs, ajoutant à la confusion et à rebours des dispositions du code de l'action sociale et des familles (CASF), qui reconnaissent les Caferuis, DEIS et Cafdes parmi les 13 diplômes de « travailleurs sociaux », le rapport limite cette qualification aux seuls professionnels chargés de l’accompagnement social, excluant ainsi ceux qui accompagnent le quotidien, encadrent ou dirigent.
... qui n'aide pas à sortir de la crise du travail social
Plutôt que de proposer des mesures inspirées de cabinets de conseil ou soufflées par quelques « courtisans » autorisés, la Cour des comptes aurait pu fournir un rapport véritablement centré sur l’analyse des politiques publiques avec rigueur et objectivité.
Ce rapport n’aide certainement pas à sortir de la crise du travail social. Il manque sa cible, au détriment des professionnels du secteur et des personnes accompagnées. Comme le rappelle un dicton populaire : « Les conseilleurs ne sont pas les payeurs ».
* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social. Cette tribune de Joran Le Gall est un texte personnel qui n'engage pas la position de l'Anas.