Fort de plus de 5 000 salariés, le réseau APA est situé principalement dans le Haut-Rhin, l'un des tout premiers départements confinés face au Covid-19. Depuis plus d'un mois, ses salariés et bénévoles répondent à l'appel. Ces "héros du quotidien" prennent la parole.
« Parfois dans mon entourage, j'entends des gens me dire "faut pas y aller". Mon père est très triste de savoir que j'ai choisi cette profession. Je lui réponds que c'est ma vocation. » Carine Demangeat, aide-soignante dans le Haut-Rhin, ne cache l'incompréhension qui entoure son engagement professionnel. Mais elle ne cache pas non plus sa propre angoisse : « Parfois, j'ai la boule au ventre. » Avec plusieurs collègues du réseau APA, elle a raconté cet investissement quotidien, lors d'une visioconférence avec la presse le 8 avril.
Raisons économiques
Cela fait plus de quatre semaines que le Haut-Rhin se bagarre de façon très acharnée contre le coronavirus. Avec l'Oise, ce département a démarré le confinement une semaine avant toute la France. Les professionnels du médico-social sont sans doute plus fatigués qu'ailleurs, mais aussi plus expérimentés. Le réseau APA qui couvre tout l'Est, de la Bourgogne aux Ardennes, a son centre névralgique dans le Haut-Rhin. Il s'est organisé dans un premier temps en réduisant de moitié les interventions à domicile - en supprimant celles dites « de confort » . Mais les choses sont en train de changer. « Dans quelques jours, nous voulons remettre en place des prestations jugées secondaires, comme les courses ou le ménage », explique Matthieu Domas, le directeur général du réseau, qui ne cache pas que les raisons économiques pèsent lourdement. Comment, en effet, payer tout le monde à 100 % quand les rentrées financières fondent ?
Ne pas engorger les hôpitaux
La quarantaine, Sabrina Barléon est auxiliaire de vie. Elle met en avant des moments forts vécus avec les personnes âgées. « Quand on branche l'application Skype et que la liaison se fait avec la famille, c'est magique. » Pour autant, elle n'oublie rien des aspects tragiques qu'elle vit. « Nous intervenons souvent chez des personnes qui sont positives [au coronavirus, NDLR]. Nous avons souvent du mal à avoir des charlottes et des surblouses. » Elle sait que cette question de la protection est fondamentale : « Si on est mal protégé, on peut contaminer de maison en maison. Et les gens vont être amenés à engorger les hôpitaux. »
3 500 masques par jour
Qu'en est-il de ces fameux masques ? Matthieu Domas raconte que grâce à la mobilisation du département et de la région, le réseau APA a réussi à être correctement pourvu dans les premières semaines. Mais les besoins sont immenses. « Pour l'ensemble du réseau et ses 1 500 salariés, nous avons besoin de 3 500 masques par jour. Il ne me reste plus qu'une semaine de réserve. » Concernant le matériel complémentaire (charlottes, surblouses, surchaussures), il estime à 300 parures le besoin quotidien. Le coût est très important pour cette structure associative, si bien qu'elle s'est tournée vers les dons du grand public. Elle s'est ainsi rapprochée de la fondation Ages qui rayonne dans le Grand Est.
Un appui financier pour le médico-social
La Fondation Ages Alsace Grand Est seniors a lancé voici quelques jours un appel à dons pour aider les structures médico-sociales. Cette fondation souhaite que l'effort financier en cette période de Covid-19 ne soit pas exclusivement réservé aux professionnels de la santé, mais soit dirigé également vers les personnels des Ehpad et de l'aide à domicile. « Nous voulons faire retentir la voix de ces autres professionnels. C’est vital pour eux et pour les milliers de personnes âgées, malades, handicapées ! Sans l’aide à domicile il n’y a pas de vie et de dignité possibles », souligne Maryvonne Lyazid, présidente de la fondation et ancienne adjointe au Defenseur des droits. Un appel aux dons a donc été lancé pour soutenir ces héros du quotidien (cliquez ici).
La souscription a déjà permis d'accorder une subvention de 10 000 € pour le réseau APA afin qu'il achète du matériel de protection. La fondation précise qu'elle pourra accorder des aides à des structures extérieures au Grand Est. Tout dépendra de l'ampleur de la souscription.
Brutalité des décès
Tout cet investissement personnel extraordinaire fait forcément des dégâts. « De nombreux salariés sont à la fois touchés par des décès dans leur entourage personnel et dans leur réseau professionnel. C'est très compliqué à vivre », note Jules Le Quellec, psychologue pour le réseau. Les structures de l'aide à domicile APA ont mis en place une permanence téléphonique l'après-midi pour laisser s'exprimer les difficultés et parfois les détresses au quotidien. Un autre élément ressort souvent des discussions avec les soignants : la brutalité des décès. « Tous les rites du deuil sont perturbés », déplore le psychologue (lire notre enquête).
Isolement social fort
Mais la mobilisation n'est pas qu'affaire de salariés. Les bénévoles (plus de 500 aujourd’hui alors qu'ils n'étaient au début qu'une centaine) animent une cellule d'appels téléphoniques destinés essentiellement aux personnes accompagnées qui ne le sont plus en période de confinement. André Grewis en fait partie et n'est pas le moins actif. « Dans la semaine, j'appelle quarante personnes, qui pour beaucoup, attendent impatiemment cette conversation. On cause de tout et de rien. Nous constatons un isolement social très fort, notamment pour les personnes de plus de 80 ans », analyse le bénévole. Au-delà de l'Alsace, la cellule est également en contact téléphonique avec des personnes accompagnées d'ordinaire par une association d'Alençon, en Normandie.
Le domicile des inquiétudes
La Fédération du service aux particuliers (Fesp) monte à son tour au créneau pour dénoncer les conditions par lesquelles les intervenants au domicile opèrent, notamment par manque de matériel de protection. La Fesp considère qu'ils sont défavorisés par rapport aux professionnels des établissements. Cette fédération met également l'accent sur l'isolement des personnes âgées. « Il faut aider les moins autonomes à rester chez eux, estime Antoine Grézeaud, directeur de la Fesp. Il faut veiller à ce que le confinement ne se transforme pas en isolement pour les séniors. La distance entre la famille et la personne dépendante est en moyenne de 226 km. De ce fait, ce sont les professionnels des services à la personne et des services d’aide et d’accompagnement à domicile qui interviennent pour veiller sur les séniors et les prendre en charge. »
Quant à France Assos santé, l'union des associations d'usagers de la santé, elle pousse un cri d'alarme sur le manque de masques dans l'accompagnement à domicile. « Pour toutes les personnes isolées et non autonomes, déjà fragiles, la privation de masques pour ces professionnels du maintien à domicile qui leur permettent de vivre, est une exposition au risque de Covid-19 qu’aucun responsable ne peut ignorer », souligne l'union qui rappelle l'engagement récent du ministre de la Santé à fournir des masques de protection pour ces professionnels oubliés.