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Tribune libre28 juin 2021
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Quand la majorité sonne la fin de l’accompagnement éducatif

Professionnelle de l'action éducative en milieu ouvert (AEMO), Laura Izzo raconte l'histoire de deux jeunes filles de 18 ans "lâchées" au moment de leur majorité, essentiellement par manque de moyens. Le sort réservé aux jeunes majeurs la révolte.

Ce midi, j'emmène Josépha déjeuner au restaurant. La jeune fille fête ses dix-huit ans. Je sais pertinemment que je vais exploser le budget de 12,50 euros prévu pour un repas avec un jeune, mais je n’ai absolument pas le cœur à lui refuser un dessert, un coca ou quoi que ce soit qui lui ferait plaisir en cet instant.

Je connais Josépha depuis plusieurs années. Une première mesure d’AEMO a abouti à un placement, un an plus tard, après avoir éreinté plusieurs familles d'accueil qui ont jeté l’éponge les unes après les autres. Le juge des enfants a levé le placement et ordonné le retour de Josépha au domicile maternel assorti d’une nouvelle mesure d’AEMO.

En attente d'une place pour des soins

À l’évidence, malgré la violence et le rejet ou peut-être précisément à cause de cela, la jeune fille ne parvient pas à se séparer de sa mère. Malgré mes efforts, nos longues discussions et sa triste lucidité, les forces à l'œuvre la submergent, Josépha a refusé toute tentative de mise à distance. Soyons honnêtes, à l’heure ou nous entrons ensemble dans le restaurant, cette mesure d’AEMO n’est pas un franc succès. Josépha, déscolarisée, dépérit dans l’attente d’une place dans un service de soins, et je m’inquiète vraiment pour elle.

Vulnérabilité et solitude

Derrière le tintement des glaçons dans nos verres et les sourires de circonstances, l’abattement voile l’instant. Ni elle, ni moi n'ignorons que son anniversaire signifie aussi la fin de l’accompagnement éducatif. Je sais combien cette mesure est pour elle un soutien (elle m'appelle en cas de crise, je tempère sa mère, je médiatise leur relation, je tente d’activer les projets de soin, je relance les partenaires…) et que sa fin va accentuer davantage encore sa vulnérabilité et sa solitude.

Coupes budgétaires

En 2021, lorsqu'un jeune que j’accompagne atteint l’âge de sa majorité, de fait l’intervention éducative en milieu ouvert s’arrête. Il existe normalement la possibilité que l’aide éducative judiciaire puisse être prolongée par le juge des enfants au-delà de la majorité et ce jusqu’à 21 ans. Dans les faits, ces mesures ont progressivement disparu en raison de coupes budgétaires drastiques et de la difficulté à prendre désormais en charge les frais relatifs à l’exercice de ces mesures.

Désengagement de la PJJ

La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) s’est désengagée du volet civil de la protection des mineurs et plus encore de celle des jeunes majeurs ; les associations habilitées ont vu le budget alloué à l’accompagnement des jeunes majeurs fondre comme neige au soleil avant de disparaître purement et simplement dans le cas de l’association au sein de laquelle j’exerce. Ainsi, en une quinzaine d'années, l’idée que cette compétence ne relevait plus d’une décision judiciaire, puisqu’elle était à la demande du jeune, mais d’une aide éducative et sociale contractualisée avec l’adolescent, et donc relevant de la compétence des départements, s’est imposée.

Parcours du combattant

Seuls les départements peuvent donc, via les contrats d’aide aux jeunes majeurs assurer un relais si cela est nécessaire… enfin théoriquement parce que dans la réalité, il en est tout autrement et obtenir un de ces fameux contrats est une véritable gageure ! Évidemment, j'essaie de mobiliser pour Josépha cette passation. Je contacte le service dédié à l’accompagnement des jeunes majeurs, je rédige un rapport, j’explique le parcours de l’adolescente, sa détresse, Josépha rédige sur une feuille d’écolière à carreaux un courrier maladroit mais sincère sollicitant cette aide.

Éducateur « volant » 

Nous obtenons un rendez-vous. J’accompagne Josépha qui est reçue par un éducateur « volant », il commence donc à expliquer qu’il est là, mais pas pour longtemps, car « volant », mais que bon cela ne change rien, il présentera le dossier de Josépha à la commission ! C’est affreux, mais à ses questions, je sens bien qu’il faut en faire des tonnes pour qu’elle ait une chance de peut-être obtenir un avis favorable de la commission, la salle d’attente est pleine de tout juste majeurs aux mines plongeantes. 

Compétition entre jeunes

La compétition plane, lequel de ces jeunes aura le bénéfice d’un accompagnement ? Précisément, Josépha est déscolarisée, elle n’a pas de projet ! « Ah c’est embêtant ! », le monsieur volant se gratte le menton, il insiste : « Vraiment rien ? ». Josépha secoue la tête. Je me précipite : « Si, si Josépha est en attente d’une place dans une structure de soin/étude, mais vous savez la liste d’attente est longue, et il faut soutenir tout cela, veiller à sa concrétisation… » « Ah voilà, voilà, c’est bien ça », le monsieur volant coche une case, littéralement. Il a devant lui une feuille avec je ne sais quels items et en fonction des réponses données, il coche ou pas.

Inversion des rôles

Demander à un jeune fragile, avec un parcours de vie cabossé, des plaies trop fraîches pour être cicatrisées de se « promouvoir », de passer un grand oral actant de son désir de s’intégrer socialement et de construire un projet d’avenir, je trouve cela aberrant. Les rôles s’inversent : là où le droit acte qu’un jeune majeur peut bénéficier d'un soutien éducatif, matériel et psychologique en cas de difficultés à même de compromettre son équilibre, plutôt que de faire le constat de ces difficultés, le jeune est mis en situation de prouver sa bonne foi, et d’être méritant.

Contrat jeune majeur impossible 

Je passerais les détails de cet entretien ubuesque, au final le jour de ses dix-huit ans, Josépha n’a pas de contrat jeune majeur. Pour un jeune qui n’est pas pris en charge par l’Aide sociale à l'enfance au titre d’un placement le jour de sa majorité, obtenir ce contrat est quasi-impossible. Hélas, l’expérience démontre que cela n’est pas toujours mieux, pour les jeunes même placés !

Aucun représentant de l'ASE

Autre jeune, autre histoire. Après trois années de placement dans un foyer éducatif, et à six mois à peine de sa majorité, Ève rentre chez sa mère. Le juge des enfants ordonne une mesure d’AEMO jusqu’à la date anniversaire des 18 ans de la jeune fille ! Les bras m’en tombent ! Que suis-je censée faire ? La mainlevée du placement est justifiée par le manque d’adhésion de l’adolescente… Dans le même temps, en trois ans, aucun référent ASE n’a été nommé, et l’ASE n’était même pas représentée à la dernière audience. Qui a manqué d’adhésion, on se le demande ?

« C'est lourd, la collectivité » 

Ève est fataliste : « J’avais l’impression de stagner au foyer, et puis avec le confinement, la collectivité c’était lourd !… alors c’est vrai je suis rentrée plusieurs fois chez ma mère… les éducateurs du foyer m’avaient parlé d’un projet d’appartement relais, ça m’aurait convenu mais rien ne s'est fait. »

Plus d'accompagnement

La mère d’Ève a de graves troubles psychiques, à l’origine de plusieurs hospitalisations et, en conséquence, plusieurs placements ont émaillé l’enfance d’Ève. Qu’adviendra-t-il de cette jeune fille, par ailleurs pleine de potentiel, dans six mois ? Je ne peux m’empêcher de penser que la mainlevée de cet accueil à l’aube de sa majorité est une manière plus ou moins consciente de l’exclure du dispositif d’accompagnement. Ève se serait probablement épanouie dans un projet d’accueil moins collectif, en semi-autonomie, elle aurait continué à bénéficier d’un soutien matériel et éducatif, le temps de passer son bac, de faire des études.

Gâchis humain… et financier

Quel gâchis, cette manière d’abandonner nos jeunes à leur majorité sous prétexte de restrictions budgétaires ! Si ces jeunes ne sont pas soutenus, encouragés, aidés, ils risquent plus tard d’être confrontés à la précarité et de représenter un coût bien plus élevé pour la société. À 18 ans, Ève sera en terminale, elle voudrait devenir infirmière, y parviendra-t-elle sans aucun soutien ?

Tristes lendemains

La situation d’abandon des jeunes majeurs dans le secteur de la protection de l’enfance me bouleverse et me révolte profondément. J’ai le souvenir d’avoir eu 18 ans, mon fils est aujourd’hui âgé de 18 ans, je sais et j’observe combien cet âge peut être riche et fragile à la fois. Il est un moment de transition essentiel où se dessinent les choix qui soutiendront parfois une vie entière. Il est temps que les promesses deviennent des décisions concrètes, et que les départements s’engagent en faveur d’une politique plus humaine de la situation des jeunes majeurs vulnérables. Cependant, quand je constate l’absence de tout débat public concernant cette question et plus largement la protection de l’enfance, alors que viennent de se dérouler des élections départementales et régionales, je me dis, que les lendemains risquent d’être arides !

Les derniers carnets de bord :

Un carnet de bord à quatre voix

En ces temps de crise sanitaire, les missions du travail social et médico-social sont, chaque jour, remises sur la table et de plus en plus placées sous le regard du grand public. Si, voici quelque temps, il était (peut-être) possible de vivre caché pour vivre heureux, ce n'est plus possible. Il faut exposer les situations, argumenter, se poser des questions. Qui mieux que les professionnels sont en mesure de nous rendre compte de leur vécu.

Ce n'est pas tout à fait une première pour Le Media social. Lors du premier confinement, nous avions proposé à Ève Guillaume, directrice d'Ehpad en Seine-Saint-Denis, de tenir un carnet de bord hebdomadaire. Les réactions de nos lecteurs furent très positives puisqu'on permettait à chacun de rentrer dans la « cuisine » d'un Ehpad.

Voilà pourquoi Le Media social a décidé de prolonger cette expérience en lançant ce carnet de bord hebdomadaire à quatre voix *, les voix de quatre professionnelles de secteurs différents. Pour « ouvrir le bal », nous avons demandé à Ève Guillaume (de nouveau), Christel Prado, Dafna Mouchenik et Laura Izzo de tenir à tour de rôle ce carnet de bord. Qu'elles en soient ici remerciées. Évidemment, ces chroniques appellent le témoignage d'autres professionnels. À vos claviers !

* Les propos tenus par les professionnels dans le cadre de ce Carnet de bord n'engagent pas la rédaction du Media social.

LauraIZZO
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