40 % des jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance vivent en famille d’accueil. Ils étaient 54 % fin 2010. Une baisse inexorable qui traduit les difficultés rencontrées par cette profession. Départs à la retraite massifs, problèmes de recrutement… La loi Taquet de février 2022 n’est pas parvenue à enrayer cette panne d’attractivité.
La loi Taquet du 7 février 2022 a-t-elle rendu le métier d’assistant familial plus attractif ? Pour Sonia Mazel-Bourdois, présidente de la Fédération nationale des assistants familiaux et protection de l’enfance (Fnaf/PE), la réponse est clairement négative.
« La loi Taquet n’a pas eu les effets escomptés. Mis à part la rémunération au Smic dès le premier accueil, une grande partie des départements tarde à mettre en place les décrets d’application. Des avenants n’ont toujours pas été signés. Les assistants familiaux s’inquiètent. »
Charge mentale
Sonia Mazel-Bourdois cite l’exemple de l’indemnité de 80 % en cas d’accueil non réalisé prévue par la loi Taquet.
« Dans les faits, de nombreux employeurs ne versent pas les 80 % si la fin de l’accueil d’un enfant est à l’initiative de l’assistant familial, et ce, même pour des raisons légitimes. Même chose si l’assistant familial refuse un accueil. On est en train de créer une inconditionnalité de l’accueil. Or, notre travail c’est 24 heures sur 24, une charge mentale énorme… On perd le sens de notre métier ! »
« Pire qu’avant ! »
Pour Bruno Roy, secrétaire général de la Confédération associative syndicale des assistants maternels, assistants et accueillants familiaux (Casamaaf), la loi Taquet a même empiré certaines choses : « Auparavant, les assistants familiaux, lorsqu’ils attendaient d’accueillir un nouvel enfant, pouvaient toucher 800 € pendant quatre mois et ensuite s’inscrire à Pôle emploi. Tout cela a été supprimé, la situation est donc pire qu’avant ! Si l’employeur ne leur confie pas d’enfant, ils peuvent se retrouver sans aucune rémunération. »
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Un droit au répit très limité
Le principal défaut de la loi Taquet est, selon lui, le manque de mesures coercitives, ce qui permet aux employeurs, public comme privé, une large latitude et des pratiques très disparates.
Le week-end de répit en constitue un bon exemple : l’article 29 de la loi Taquet stipule que « le contrat de travail passé entre l’assistant familial et son employeur peut prévoir que l'assistant familial bénéficie d'au moins un samedi et un dimanche de repos consécutifs par mois, qui ne s'imputent pas sur la durée de congés payés qui lui est accordée ». « Peut » et non doit. Sur le terrain, ce temps de répit est rarement effectif.
Vague de démissions
Manque de familles relais, collègues déjà surchargés, saturation globale des services de la protection de l’enfance… Autant de raisons qui rendent ce droit au répit difficilement applicable. Alors qu’il contribuerait à prévenir l’épuisement professionnel, et peut-être limiter la « casse » et les nombreuses démissions.
« C’est la première année où je reçois autant de témoignages de collègues qui arrêtent le métier après cinq, dix, voire vingt ans. Elles n’en peuvent plus », affirme la présidente de la Fnaf/PE Sonia Mazel-Bourdois.
Présomption de culpabilité
Autre source de fragilisation de la profession : « la présomption de culpabilité » qui pèse sur leurs épaules, comme le souligne Bruno Roy.
« Quand une information préoccupante concerne un assistant familial, le ou les enfant(s) lui sont retirés, puis c’est le licenciement au bout de quatre mois. Il s’agit d’actes de maltraitances supposés qui, dans 90 % des cas, se termineront par des non-lieux, explique le secrétaire général de la Casamaaf. Au bout du compte, ce sont des assistants familiaux qui ne retravailleront pas, sans compter les dégâts psychologiques que cela peut laisser, tant pour les enfants que pour les professionnels… »
« Aimer ce métier, c’est le faire avec la crainte »
Il cite le témoignage d’une assistante familiale qui s’est vu retirer « par principe de précaution », suite à un appel anonyme au 119, les deux fillettes qu’elle accueillait. « J’ai perdu un agrément sur les deux. Quel sens donner à cela ? Une demi-punition ? », écrit cette assistante familiale au secrétaire général de la Casamaaf.
Les faits remontent à dix ans, mais ils ont marqué à jamais cette femme : « Notre famille a été ravagée. » « En tant que professionnels, nous souffrons de la précarité de notre situation, un voisin, une connaissance peut nous faire perdre notre travail. » « Aimer ce métier, c’est le faire avec la crainte », résume-t-elle.
La fin d’une profession ?
De lourdes responsabilités, un travail atypique exercé à la maison avec un risque d’isolement, des enfants confiés aux profils de plus en plus « abîmés », un secteur, celui de la protection de l’enfance, qui traverse une crise majeure… Le métier peine à susciter des vocations et retenir les professionnels en exercice.
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« Si rien n’est fait, dans dix ans il n’y aura plus d’assistants familiaux, s’indigne Thierry Herrant, chargé de mission à l’Union fédérative nationale des associations de familles d’accueil et assistants maternels (Ufnafaam). Soit les pouvoirs publics l’assument et privilégient d’autres solutions, soit ils considèrent que la famille d’accueil est bénéfique, et alors il faut mettre le paquet ! »
Le chargé de mission de l’Ufnafaam n’oublie pas de préciser que le coût de l’accueil familial (29 700 € par an et par bénéficiaire en 2021) est moins onéreux que celui des autres modes d’accueil (40 500 € d’après les derniers chiffres de la Drees).
Créer un « choc d’attractivité »
Dans un courrier adressé au Président de la République cet automne, l’Ufnafaam en appelait à un « choc d’attractivité pour valoriser le métier d’assistant(e) familial(e) et enrayer ce déclin mortifère pour l’ensemble du système », écrivait la présidente Martine Orlak.