Au Québec, la pénurie de professionnels touche tous les secteurs, y compris celui du social. Alors que beaucoup de travailleurs sociaux se sentent surchargés, gouvernement et établissements tentent des solutions : incitations financières, embauche de professionnels moins diplômés, recrutement à l'international, conditions de travail assouplies.
Quand on l'interroge sur la pénurie de professionnels du social, le Ministère de la santé et des services sociaux du Québec répond de manière sobre : « De façon générale, les besoins sont grands et de nombreux postes sont à pourvoir. »
Pierre-Paul Malenfant, président de l’Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ) précise : « De la bouche même du ministre, il manque 1 500 postes de travailleurs sociaux à temps plein. »
Une carence de professionnels
Au Québec, la dénomination « travailleur social » (TS) équivaut au seul métier d'assistant de service social (ASS) (1). Mais les autres métiers du social sont aussi touchés par la pénurie. Les régions éloignées de Montréal, notamment au Nord de la province, sont les plus concernées. Cette carence de professionnels s'explique principalement par les courbes démographiques du pays et les nombreux départs en retraite.
Le secteur associatif plus touché
Le secteur associatif (appelé communautaire au Québec) est le premier à en faire les frais. 89 % des organismes communautaires indiquent avoir des difficultés à combler les postes ouverts. En moyenne, 2,8 ETP sont vacants par organisme, indique l'Observatoire de l'action communautaire autonome.
« Le milieu communautaire est sous-financé, explique Philippine Bonte, responsable de l’analyse politique au Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse au Québec (ROCAJQ). Le réseau public rémunère un professionnel au moins 25 $ de l'heure, alors que nous ne pouvons proposer que 18 à 20 $. La concurrence est rude. Certains organismes communautaires parlent de vol de main-d’œuvre par le secteur public. »
Des équipes surchargées...
Sur le terrain, le climat de travail est marqué par la surcharge. Avant cette crise, 19 % des organismes communautaires déclaraient avoir une « charge de travail très difficile ». Ils sont désormais 76 %.
« Les professionnelles se retrouvent avec des charges de cas impossibles, confirme Roxanne Palardy, travailleuse sociale et représentante du syndicat Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN). C'est d'autant plus frustrant qu'elles sont de moins en moins d’intervenantes à devoir faire face à de plus en plus de demandes. »
... et épuisées
Les équipes s'épuisent. À Montréal, une TS d'un centre de protection de la jeunesse a témoigné anonymement dans la presse : « Il y a beaucoup de collègues en maladie parce qu’on ne peut pas faire tout ce qui nous est demandé. Tu as l’impression de mettre en échec les familles que tu aides parce que tu n’es pas capable de leur donner ce dont elles ont besoin, donc ça crée un sentiment d’impuissance. »
Une mobilité à double tranchant
La pénurie touche de manière plus critique les secteurs de la santé mentale et de la protection de la jeunesse.
« Depuis 2015, une réforme a regroupé les structures sociales en méga établissements au sein desquels la mobilité est facilitée pour les employés, explique Marie-Ève Chartré, directrice des admissions à l'OTSTCFQ. C'est intéressant pour eux. Mais dans un contexte de pénurie, les milieux de pratique qui sont considérés comme difficiles ou qui impliquent beaucoup de responsabilités sont délaissés. »
La prime au privé
La mobilité se fait aussi vers le privé. Les professionnels deviennent « consultants au privé » ou rejoignent des agences privées de placement de travailleurs sociaux.
Les agences offrent de meilleurs salaires et des horaires plus flexibles. C'est très attirant, explique Roxanne Palardy. Les établissements du secteur public se retrouvent à faire appel à ces agences, surtout dans le grand Nord. »
Moins d'autonomie professionnelle
Dans ce contexte, Pierre-Paul Malenfant s'inquiète pour le respect du code de déontologie de la profession : « On constate que certains gestionnaires de structures fixent davantage de contraintes aux TS. On leur impose de prendre sans cesse de nouveaux dossiers, de faire des suivis courts en un nombre limité de rencontres ou de sortir des gens du système. »
Roxanne Palardy note que la pression de la performance empiète sur l'autonomie professionnelle. Marie-Ève Chartré confirme : « Pour qu'il aille plus vite, le TS est campé dans un rôle très technique où il remplit des formulaires avec des cases préétablies. On laisse moins de place à la réflexion et au jugement professionnels. »
Interruptions et fermetures
Les équipes des organismes communautaires trouvent qu'elles ne sont pas en mesure de répondre aux demandes des publics, en forte augmentation. « Non seulement elles ne peuvent pas créer de nouveaux projets ni aller vers de nouveaux publics, mais elles sont contraintes à des interruptions d’activités, voire des fermetures de certains services », déplore Philippine Bonte.
Elle note aussi que les DRH des structures sont sous pression : « J'en vois qui ne prennent plus le temps de faire passer un entretien à un deuxième candidat de peur de perdre le premier. Les RH doivent trouver des stratégies pour attirer, sans quoi ils embauchent des personnes sous-qualifiées dont la formation demande beaucoup d'énergie. »
Des incitatifs financiers
