Les 18-25 ans sont parmi les plus touchés par les conséquences sociales et psychologiques de la crise liée au Covid-19. Parmi eux, le sort des plus isolés - ex-MNA, jeunes en rupture familiale, anciens enfants placés - inquiète encore davantage les professionnels. Pour eux, ils réclament une égalité des chances et un accompagnement sur du "temps long".
Avec le recul de plus d'une année de pandémie, on sait maintenant que ceux qui souffrent le plus des conséquences économiques, psychologiques et sociales de la pandémie de Covid-19 sont les plus précaires et les plus isolés.
Ne compter que sur soi
Touchés par la précarité - en 2018, le taux de pauvreté des 18-25 ans était à 12,8 %, soit une progression de + 50 % en quinze ans et un niveau de vie deux fois inférieur au niveau de vie des Français - et à un âge où le collectif joue un rôle important, les jeunes apparaissent ainsi comme une « génération sacrifiée ».
Semblent s'en sortir un peu moins mal ceux qui sont entourés par leur famille ou encore ceux qui ne sont pas dans l'obligation d'avoir un job alimentaire. En fait, ceux qui ont un filet de sécurité. Mais quand, à 20 ans, on est seul dans la vie ? Quand, dès 18 ans, on ne peut compter que sur soi ?
« Sortie sèche » de l'enfance
Alors que l'âge moyen de la décohabitation avec les parents se situe aujourd’hui en France à 23 ans, et l’accès à un emploi stable à environ 27 ans, les mesures de protection de l'enfance s'arrêtent à 18 ans et 1 jour si le jeune ne bascule pas dans un dispositif dédié aux jeunes majeurs. Tout en vivant une enfance chaotique, ces enfants « sans famille » doivent se préparer à être autonomes à un âge où la majorité des jeunes prolongent leur adolescence.
Le gouvernement a admis, en creux, cette injustice en demandant à ce qu'il n'y ait pas de sorties sèches de la protection de l'enfance pendant la période d'urgence sanitaire - une mesure prolongée jusqu'en septembre - et en attribuant une aide de 50 millions d'euros aux départements, dans le cadre du PLFSS rectificatif 2020, pour prendre en charge jusqu'à fin 2020 les jeunes suivis par l'aide sociale à l'enfance (ASE).
« Situations extrêmes »
Malgré cette volonté de mise à l'abri, on peut supposer que dans le même temps, des entrées à l'ASE ainsi que des accompagnements ont été retardés. Hamza Bensatem, président de l'Association d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance (Adepape) du département des Bouches-du-Rhône, a constaté, à l'échelle de son département, « les difficultés des jeunes souhaitant revenir vers l'ASE au début de la crise en raison du manque de place dans les maisons d'enfant à caractère social (Mecs) ».
Selon ses observations, la situation se serait améliorée au fil des mois. Dans l'intermédiaire, son association s'est mobilisée pour « trouver des issues à des situations extrêmes », comme un jeune homme dormant dans un garage et des jeunes filles se prostituant.
La mission locale ultra-sollicitée
À la mission locale de Paris, l'équipe enregistre depuis plusieurs mois l'arrivée d'un nouveau public, « ceux qui ne seraient jamais venus avant la crise sanitaire, notamment des étudiants décrocheurs », explique Fouzia Bendelhoum, responsable départementale du dispositif Garantie jeunes.
Ces étudiants, « qui devraient vite rebondir », y croisent des jeunes « très, très précaires ».
La santé mentale
« Le public le plus en difficulté est composé de jeunes en rupture familiale ou des jeunes privés du jour au lendemain de leur hébergement de fortune. Avec le public ex-ASE, l'accompagnement est facilité car nous avons très souvent un interlocuteur référent qui le connaît bien », détaille la responsable.
Les jeunes qui ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation sont orientés vers la garantie jeunes, un accompagnement renforcé d'une durée d’un an vers l'insertion sociale et professionnelle, assorti d'une aide financière (maximum 497 €) sous conditions de ressources. (*) « Pendant ce parcours, le principal frein sera la santé et la santé mentale, notamment pour les jeunes SDF », relève Fouzia Bendelhoum.
Conduites à risques
Avec l'augmentation des entrées, la mission locale de Paris compte actuellement une file active d'environ 1 500 jeunes dont « de plus en plus de filles ». Des jeunes filles dont les récits de vie interpellent fortement les travailleurs sociaux. « Certaines d'entre elles évoquent la prostitution de façon très banalisée comme un moyen pour s'en sortir », confie Fouzia Bendelhoum.
« Pour répondre à cette problématique, nous renforçons actuellement nos partenariats avec des associations spécialisées comme le Mouvement du Nid car il faut être sacrément bien armé pour arriver à expliquer pourquoi "oui, chacun dispose de son corps mais que le marchander n'est pas une solution comme une autre" », poursuit la responsable.
Risques de ruptures familiales
Même signal d'alerte de la part de Sadek Deghima, chef de service d'un club de prévention spécialisée, Avenir des Cités (Harnes, Pas-de-Calais).
Lui relève que les solutions parfois évoquées « de façon banalisée » par les jeunes en très grande précarité sont « le trafic de stupéfiants et aussi la prostitution ».
Par ailleurs, il souligne le risque accru de ruptures familiales pour des jeunes qui ont, encore plus qu'à l'habitude, des difficultés d'accès à l'emploi, et « qui sont perçus comme une charge dans leur famille ».
Un paysage mouvant
Ces jeunes « sans famille » ont jusqu'à présent accès deux solutions : l'accompagnement par l'équipe d'une mission locale, avec comme outil phare la garantie Jeunes, et l'attribution par le conseil départemental d'un contrat jeune majeur (CJM).
Mais alors que les besoins n'ont jamais été aussi aigus, le public concerné doit à la fois faire face à une inégalité, ancienne, dans le taux d'attribution du CJM d'un département à l'autre - de 20 % à 60 % (pour une moyenne nationale, en baisse, de 36 %) -, et dans le cadre de durées très variables ; et à un possible remaniement du dispositif.
Un contrat d'accès à l'autonomie
La proposition de loi « visant à accélérer l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l’autonomie », déposée par Brigitte Bourguignon et adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 7 mai 2019 (et qui n'est pas encore à l'agenda du Sénat) entend remplacer, suite à un amendement du gouvernement, le contrat jeune majeur par le « contrat d’accès à l’autonomie ».