Ancienne assistante sociale, Clara Deville présente sa thèse de sociologie sur la dématérialisation du RSA, et sur la « distance à l’État » qu’elle crée pour les classes populaires rurales. Primée par le Défenseur des droits, la chercheuse critique le concept de non-recours.
Avec quels questionnements vous êtes-vous lancée dans cette recherche, consacrée à la dématérialisation du revenu de solidarité active (RSA) ?
Clara Deville Je suis d’abord partie d’une question de travailleuse sociale : pourquoi certains obtiennent le RSA rapidement, et d’autres pas ? Mais j’avais aussi une interrogation de sociologue. Beaucoup avait déjà été écrit sur les attitudes discriminantes aux guichets des administrations, et je me suis intéressé, pour ma part, à la sélection existant avant même d’y accéder.
Au départ, votre recherche ne portait donc pas sur la dématérialisation ?
C.D. Non, car en commençant cette recherche, en 2014, le RSA était encore une prestation sanctuarisée. On savait qu’elle visait des personnes concernées par la fracture numérique, et qu’elle était, en outre, d’une instruction complexe… Ce n’est qu’au cours de ma thèse que l’accès au RSA a finalement été dématérialisé, et que les CAF ont développé leur accueil sur rendez-vous, en ouvrant, par ailleurs, des « espaces libre-service » permettant d’accéder au site caf.fr.
Ces évolutions proviennent du plan de lutte contre la pauvreté engagé sous François Hollande, en 2012. Il comprenait en effet un volet de lutte contre le non-recours aux droits, qui s’appuyait, paradoxalement, sur cette dématérialisation. Et c’est étonnant, compte tenu de la fracture numérique, qui était déjà connue…
Votre thèse montre ainsi que cette lutte contre le non-recours a, finalement, produit du non-recours ?