Après trois semaines de mobilisation, de droits de retrait en assemblées générales, les agents de l’action sociale du département ont arraché un plan d’actions, et notamment des embauches. Certains espèrent maintenant propager le mouvement.
L’étincelle a jailli sur une route, dans l’agglomération de Toulouse, à la fin du mois de septembre. Des personnels de l’aide sociale à l’enfance (ASE) y accompagnaient une jeune, en crise, vers son nouveau lieu de placement. Soudain la mineure a essayé de sauter de la voiture. Les collègues en ont été choqués. « Et ils se sont dit : ça suffit », poursuit Stéphane Borras, élu du syndicat Sud, au conseil départemental de Haute-Garonne. Le droit d’alerte a alors été exercé, pour avertir le conseil départemental des risques psychosociaux pris par ses personnels de l’ASE, à la maison des solidarités (MDS) de Frouzins. « Cela fait plusieurs années qu’on recourt à ce droit d’alerte, et que leurs agents exercent leur droit de retrait - par exemple lorsqu’ils n’arrivent pas à placer un enfant confié par un juge », note le syndicaliste. « Des fois, ça cristallise. »
Tâche d'huile
Et cette fois, les arrêts de travail pour « danger grave et imminent » vont bientôt faire tâche d’huile à travers le département. Les droits d’alerte, comme de retrait, sont d’abord étendus à toute la MDS de Frouzins, puis à celle de Cazères, au pied des Pyrénées. La direction refuse cependant de les faire aboutir à une enquête du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Et les arrêts de travail gagnent alors d’autres antennes départementales. Une assemblée générale est finalement proposée à tous les personnels de la direction des solidarités, le 10 octobre à Toulouse.
Souffrance
« On a été submergé », s’étonne encore Stéphane Borras. « C’était probablement la plus grosse AG de l’histoire de l’action sociale départementale, en Haute-Garonne, avec près de 600 personnes ! Je suis assistant social et en 25 ans je n’avais jamais rien vu de pareil…» Les syndicalistes y entendent « une souffrance extrêmement importante », exprimée par des assistants de service social comme par des éducateurs spécialisés, des CESF, des psychologues ou des secrétaires… Tour à tour, les agents déplorent les postes vacants, ainsi que les problèmes éthiques, « à ne pas pouvoir remplir sa mission par manque de moyens ou en raison d’une organisation déficiente », comme le rapporte le syndicaliste, porte-parole en Haute-Garonne de Sud Collectivités territoriales.
Deux heures de rencontre
Une alerte est alors déposée pour toute la direction des solidarités. Et le 11 octobre, le droit de retrait est exercé par des agents dans 21 des 23 MDS du département. En fin de journée, ce vendredi, ils sont encore près de 300 à se rassembler, au siège du conseil départemental… Ils y croisent Sébastien Vincini, l’élu (PS) chargé, notamment, du personnel. La rencontre durera près de deux heures.
« C’était très dur », témoigne le conseiller départemental. « Chaque agent m’a fait le récit de son vécu, des situations sociales complexes à gérer, de ses conditions de travail, de ses inquiétudes… » Sébastien Vincini, à son tour, découvre ainsi « la souffrance » partagée, parmi les 1 871 agents de la direction des solidarités du département. « Je suis alors resté en mode "écoute" », poursuit l’élu. Il finit par accepter l’enquête du CHSCT, jusque-là refusée.
Une enquête « extraordinaire »
Engagée dès le lundi 14, cette enquête sera, littéralement, « extraordinaire », rapporte Sébastien Vincini. Et Stéphane Borras ne le contredit pas : « Les collègues ont obtenu qu’elle se tienne en public. Pendant un jour et demi, les agents ont défilé, équipe par équipe, pour expliquer en quoi ils étaient exposés à des dangers. Je n’avais jamais vu ça. C’était une déferlante ! » Une assistante sociale de MDS confirme : « Il y a eu des témoignages vraiment poignants, durs à entendre, sur des collègues qui craquent totalement. »
Réponses politiques
« Mais en parallèle de cette procédure du CHSCT, nous nous devions d’apporter des réponses politiques », reprend l’élu chargé du personnel. Ainsi, le 14 octobre, il reçoit les organisations syndicales, avec une délégation de quelques dizaines d’agents. En outre, il « appelle les personnels à coucher sur le papier leurs constats et leurs revendications » - qui affluent alors « de manière considérable », par mél ou en mains propres.
Plan d'actions
Enfin, le 16 octobre, un « plan d’actions des solidarités » est proposé, face à près de 700 agents. Il comporte d’abord une quinzaine de mesures de court terme. Le département annonce la création de 16 postes de référents à l’ASE, « pour limiter à 25, en moyenne, le nombre de mesures » par agent. Il y ajoute un pool de 40 remplaçants, afin de pallier les absences. En outre doivent être rallongés tous les contrats à durée déterminée, à une année au minimum. « Je lance donc un appel aux professionnels de l’action sociale pour venir travailler en Haute-Garonne », commente Sébastien Vincini.
Mais les élus concernés s’engagent aussi à plus long terme : ils promettent un schéma départemental d’action sociale et médico-sociale, afin de décloisonner les services. Une carte de paiement est aussi envisagée, notamment pour éviter aux référents ASE d’avoir à avancer des frais aux enfants accompagnés. En outre une prise en charge des situations complexes doit être expérimentée avec l’agence régionale de santé… « Il y aura un avant et un après », insiste Sébastien Vincini, comme pour mieux clore ces trois semaines de mobilisation.
Appel du 31
De fait, le lendemain, le CHSCT rendait son enquête, et concluait à un danger « grave » mais non « imminent ». Le droit de retrait n’était donc pas justifié. Le lendemain le travail reprenait… Pour autant Sud n’entend pas arrêter là ce « mouvement social historique ». Face à « un "plan d’actions" réel mais insuffisant », le syndicat appelle à « un vaste mouvement de grève le 7 novembre, à l’occasion du premier comité de suivi ». Quant aux agents impliqués, ils ont lancé, en leur nom propre, un « appel du 31 » [1] pour « une mobilisation générale de tous les services d’action sociale, dans tous les départements de France ». Leur appel dépassera-t-il les frontières de la Haute-Garonne ?
[1] Le 31 est le numéro du département de Haute-Garonne.