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Article04 juin 2020
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Confinement des âgés : plus dur fut l'isolement...

Trois semaines après le début du déconfinement, les Petits Frères des pauvres publient un rapport sur la vie des personnes âgées à cette période. Le manque de contact a été vécu difficilement. Un demi-million d'âgés n'ont pas reçu l'aide dont ils avaient besoin.

Pendant toute la crise du Covid-19, on a, à raison, salué l'engagement, parfois sans limite, des professionnels dans les hôpitaux, les Ehpad, l'aide à domicile et tant d'autres lieux. Mais on a sans doute négligé le rôle des milliers de bénévoles qui, derrière leur téléphone ou une appli internet, ont maintenu un fil, un lien avec l'extérieur, en direction de personnes âgées ultra-seules.

Enquête auprès des âgés

Dans son étude annuelle, disponible ce 5 juin alors qu'elle sort d'ordinaire le 1er octobre, les Petits Frères des pauvres proposent un ensemble d'éléments qui renseignent bien sur les trois mois singuliers que nous venons de vivre.

L'organisation a, d'une part, réalisé une enquête par téléphone auprès de 1 500 personnes âgées de plus de 60 ans, représentatives de la population générale (rappelons que nous comptons plus de 17,4 millions de plus de 60 ans dont 2,2 millions de plus de 85 ans). Qu'en ressort-il ? Les réalités de l'isolement ont été très variables, avec des situations graves pour une minorité d'entre elles. Ainsi, 720 000 personnes n'ont eu aucune relation avec leur famille. Pendant toute cette période, 13 % des personnes ont ressenti régulièrement la solitude. 

Certains ne veulent plus sortir

La vie au quotidien n'a pas été simple : 2,5 millions de personnes ne sont jamais sorties. Selon cette étude, 96 % des personnes faisaient, avant le confinement, au moins une sortie hebdomadaire. Pendant, ce taux est tombé à 69 %. Autre information préoccupante : après le déconfinement, plus de 800 000 personnes ne souhaitent toujours pas quitter leur domicile.

D'autre part, le confinement a eu un impact négatif sur leur santé morale pour 41 % des personnes âgées interrogées et sur leur santé physique pour 31 %. Il ne faudra pas l'oublier dans les prochaines semaines. Comme l'explique le gériatre François Puisieux, l'isolement a aussi des conséquences cognitives : « Une personne âgée qui n'a pas une vie sociale de qualité a plus de risques de développer des troubles cognitifs. »

Un avenir meilleur ?

Même si les personnes âgées ont constaté majoritairement un élan de solidarité pendant cette période, sur les 12 % d'entre elles qui avaient besoin d'aide, quelque 3 % – soit 500 000 personnes – ne l'ont pas obtenue. Face à l'avenir, ils ne sont qu'un tiers à penser que la situation sera meilleure en matière de solidarité après la crise. Et près d'un sur dix considère qu'elle pourrait être pire.

Plus de numérique, mais pas pour tous

Concernant le numérique, certains âgés ont découvert son fonctionnement pendant ces semaines. Ainsi, 52 % des internautes âgés ont participé à des groupes de conversation du type WhatsApp ou Messenger (dont 25 % des 85 ans et plus) et 59 % ont passé des appels visio. Pour autant, ils sont toujours plus de quatre millions de seniors à ne pas toucher à internet.

Dans quelle société vivre ?

Commentant les résultats, la sociologue Mélissa Petit estime que « les femmes âgées, seules, avec des petits revenus, sont la population qui a été le plus fragilisée pendant le confinement ».

Elle revient également sur les interdits nombreux qui ont frappé la population âgée : « Notre modèle de société doit toujours questionner l'humain. Nous devons vraiment nous demander dans quelle société nous voulons vivre et si nous voulons d'une société coercitive. »

Rendre visible l'engagement

Sur la question de savoir si l'élan de solidarité va pouvoir se prolonger – ce dont doutent la majorité des âgés –, le cofondateur du Cercle « Vulnérabilités et société » Thierry Calvat estime que « plus on va mettre en visibilité des actions d'engagement, plus on va montrer qu'elles ont une vraie portée politique, une vraie portée sociale, plus elles vont pouvoir s'inscrire culturellement dans l'imaginaire collectif ».

« Des petits plus qui font du bien » 

Ce riche document des Petits Frères ne se contente pas d'exploiter un matériau statistique. Il donne également la parole à divers intervenants internes ou externes sur la période singulière que nous avons vécue. De nombreux bénévoles s'expriment ainsi sur les changements dans leur intervention. La douleur affleure souvent.

« Nous, on ne soigne pas, on apporte du bien-être, des petits gestes d'attention comme mettre du vernis à ongles, aider à écrire des cartes aux bénévoles, des petits plus qui font du bien. J'ai très mal vécu les conditions du décès d'une personne que j'accompagnais », témoigne l'un d'entre eux.

Les oubliés des campagnes

Une bénévole du Grand-Est raconte que quatre personnes vivant en établissement et suivies par l'équipe des Petits Frères sont décédées. « Nous avons eu, il y a quelques temps, une formation au deuil avec une psychologue. Mais on s'inquiète, on dort mal, on se fait des films. »

Un bénévole du Puy-de-Dôme ajoute : « Les personnes âgées isolées des campagnes sont des oubliées. C'est vraiment un cri d'alerte que je pousse. Je me demande si les gens haut placés à Paris savent vraiment ce qu'est l'isolement. »

Les avantages du téléphone

Les bénévoles devenus écoutants ont constaté que, parfois, l'outil téléphone était très utile pour recevoir les confidences. Une bénévole parisienne explique : « Nous sommes très attentifs à ce que nous disent les personnes âgées, par exemple une dame qui dit qu'elle veut rejoindre son mari décédé alors qu'elle n'avait jamais avant ce genre de propos ou des personnes qui perdent l'appétit. »

A noter que cette période a permis l'arrivée de nouveaux bénévoles aux Petits Frères comme ailleurs (lire notre article).

Instinct de survie

Pour ce qui est des personnes précarisées (souvent SDF ou ex-SDF), Mustafa, responsable d'une unité qui travaille avec cette population à Paris, note : « Le risque de contamination par le virus a majoré les troubles mentaux chez des personnes déjà fragiles. L'isolement et la précarité des personnes que nous accompagnons se sont accrus. Cependant, elles sont étonnantes et démontrent qu'elles peuvent s'adapter, mobiliser leur capabilité, leur instinct de survie. »

Pas un supplément d'âme

Auteur d'un rapport qui avait ouvert la voie à un desserrement de l'étau vis-à-vis des âgés, Jérôme Guedj résume les enjeux actuels : « La lutte contre l'isolement ne peut pas être renvoyée aux seuls acteurs associatifs, ni aux seuls acteurs territoriaux. Cette lutte ne peut plus être un supplément d'âme des politiques publiques nationales liées au vieillissement et au grand âge, c'est un élément constitutif de ces politiques au même titre que la modernisation des services à domicile, l'évolution des Ehpad, la prévention, l'adaptation des villes au vieillissement. »

Pour l'ancien parlementaire, ces politiques de lutte contre l'isolement devront être financées par la future cinquième branche de la sécurité sociale.

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NoëlBOUTTIER
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