Dans ce "Carnet de bord", la directrice d'Ehpad Eve Guillaume raconte comment son établissement a mené à bien le processus de renouvellement de son conseil de la vie sociale, en sensibilisant résidents et personnel à l'importance de la participation.
Les Ehpad accueillent des personnes ayant des histoires de vie et des origines sociales très variées. Nous nous attachons à tout mettre en œuvre pour personnaliser au mieux les prises en charge et répondre aux besoins de chacun.
Pour cela, nous devons interroger nos pratiques quotidiennement, et être à l'écoute de nos usagers. Tous les métiers de l'Ehpad, du soignant au cuisinier, de la lingère au responsable des finances, existent pour faciliter le quotidien de nos personnes âgées et les accompagner dignement dans les derniers mois ou années de leur vie.
Des citoyens avant d'être des résidents
Dès lors, la question de la participation des résidents et de la place que nous leur donnons pour élaborer les projets de l'établissement est centrale. Andrée, résidente de l'Ehpad, explique souvent qu'avec ses pathologies et son entrée en Ehpad, elle a l'impression d'être une citoyenne de seconde zone.
Désormais, elle doit faire confiance aux professionnels qui la prennent en charge et elle a le sentiment d'avoir peu de contrôle sur son quotidien. Elle n'est pas la seule à exprimer cette détresse, et encore, « moi, j'ai toute ma tête, je peux dire lorsque quelque chose ne va pas. Mais comment font les autres ? Ceux qui n'ont plus conscience d'être où ils sont ? Ceux qui ne peuvent s'exprimer ? ».
Il nous a manqué un outil
La pandémie que nous vivons nous a rappelé, encore une fois, que nous ne pouvions pas prendre de décisions sans prendre le temps d'informer et d'échanger avec les résidents. Pour cela, il nous a manqué un outil, un organe de représentation des résidents et de leurs proches.
Les conseils de la vie sociale (CVS), où sont représentés les résidents et les familles, ont été créés par la loi de 2002. Ils permettent de les consulter sur les projets de l'établissement, les modifications d'organisation, les budgets… En mars dernier, à l'entrée dans la crise sanitaire, notre conseil n'était plus en mesure de se réunir, faute de membres encore élus. Sa présidente nous avait quittés quelques semaines auparavant.
Relance du CVS
Nous avons dû prendre les premières mesures contre le Covid très rapidement, en suivant les consignes nationales, sans prendre le temps de consulter les résidents. C'est l'un des constats que nous avons faits, a posteriori, sur ces mois difficiles : avoir un CVS actif nous aurait permis de recueillir plus facilement l'avis des résidents.
À partir du premier déconfinement, en mai, nous avons réalisé davantage de réunions avec les résidents, en plénière, pour les informer et échanger avec eux. Mais nous avons aussi décidé de relancer notre conseil de la vie sociale en organisant des élections.
Quatre mois de mobilisation
Nous avons organisé cette démarche sur quatre mois pour en faire un temps fort de l'établissement. L'animateur, la psychomotricienne et un agent administratif ont pris cette mission à cœur : prévoir un calendrier et des moyens pour que les résidents et les familles s'impliquent dans cette élection. Il fallait que tout l'établissement s'engage en vue de cette échéance.
Il n'était pas question qu'un résident, cherchant une information sur l'élection dont il avait entendu parler, rencontre un agent qui lui réponde qu'il ne voyait pas de quoi il s'agissait. L'ensemble des agents a alors été informé par divers outils (newsletter RH, notes de service, réunions plénières d'information…).
Campagne électorale
Une fois cette étape réalisée, nous avons rencontré les résidents pour leur annoncer la tenue des élections et expliquer les missions qu'auraient les futurs élus. La psychomotricienne et l'animateur ont proposé des temps spécifiques pour accompagner les résidents dans la réalisation de leur candidature : photo, rédaction d'une courte profession de foi et choix d'un slogan.
Nous avons alors vu fleurir des candidatures pour « Agir ensemble pour demain », « Nous aussi, nous avons la parole », « Ici, c'est nous et c'est chez nous »…
« Aider les gens à bien vivre »
Sur un format A4, chaque résident candidat se présentait et expliquait pourquoi il souhaitait être candidat. Andrée a candidaté pour « aider les gens à bien vivre. Lorsque je serai élue, je souhaite faire en sorte que les bien portants et les personnes en fauteuil roulant puissent s'épanouir dans les meilleures conditions […] pour que tout le monde soit le plus autonome possible ».
En parallèle, les proches qui souhaitaient se présenter pour le collège des familles, pouvaient aussi rédiger une courte profession de foi avec une photo. L'ensemble de la campagne s'est déroulée à distance, par courrier, en raison des conditions sanitaires.
Meeting à l'Ehpad
Chaque résident et chaque famille ont reçu sous enveloppe l'ensemble des professions de foi. Puis, les organisateurs de l'élection pour l'établissement ont préparé avec les candidats un meeting. Une après-midi dédiée à la présentation des résidents, à leur projet pour l'établissement et aux échanges avec leurs voisins.
Tous réunis en cercle à un mètre de distance dans la salle à manger, ils étaient une petite vingtaine réunie autour des six candidats. Chacun s'est présenté et s'en est suivi un temps d'échanges sur les projets à faire avancer, les points à améliorer mais aussi les choses positives. Un débat qui fut très riche.
Forte participation
Le jour des élections, plus de 60 % des résidents ont voté et une trentaine de personnes étaient présentes le lendemain pour l'annonce des résultats. Une véritable satisfaction pour les équipes d'avoir réussi le pari de faire de cette élection un moment important.
Une première étape vers une amélioration de la participation de nos résidents dans l'établissement. Il faut désormais que nous leur donnions les moyens d'exercer leur mandat. Tout d'abord en facilitant des temps d'échanges entre les représentants et les autres résidents pour mieux représenter leurs pairs, mais aussi en leur permettant de préparer les conseils et leur prise de parole.
Un « Carnet de bord » à quatre voix
En ces temps de crise sanitaire, les missions du travail social et médico-social sont, chaque jour, remises sur la table et de plus en plus placées sous le regard du grand public. Si, voici quelque temps, il était (peut-être) possible de vivre caché pour vivre heureux, ce n'est plus possible. Il faut exposer les situations, argumenter, se poser des questions. Qui mieux que les professionnels sont en mesure de nous rendre compte de leur vécu.
Ce n'est pas tout à fait une première pour Le Media Social. Lors du premier confinement, nous avions proposé à Ève Guillaume, directrice d'Ehpad en Seine-Saint-Denis, de tenir un carnet de bord hebdomadaire. Les réactions de nos lecteurs furent très positives puisqu'on permettait à chacun de rentrer dans la « cuisine » d'un Ehpad.
Voilà pourquoi Le Media Social a décidé de prolonger cette expérience en lançant ce carnet de bord hebdomadaire à quatre voix, les voix de quatre professionnelles de secteurs différents. Pour « ouvrir le bal », nous avons demandé à Ève Guillaume (de nouveau), Christel Prado, Dafna Mouchenik et Laura Izzo de tenir à tour de rôle ce carnet de bord. Qu'elles en soient ici remerciées. Évidemment, ces chroniques appellent le témoignage d'autres professionnels. À vos claviers !
Les trois précédents « Carnets de bord »
- Nous ne travaillons pas simplement pour les gentils, par Dafna Mouchenik.
- Vaccination : le rôle crucial de l'information, par Eve Guillaume.
- AEMO : le paradoxe de l'aide contrainte, par Laura Izzo.
Les propos tenus par les professionnels dans le cadre de ce « Carnet de bord » n'engagent pas la rédaction du Media Social.