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Article26 mars 2020
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Coronavirus : comment les Ehpad pallient à tous les manques

Au bout d'une semaine de confinement, les Ehpad sont sortis de leur quasi-clandestinité. Les énumérations morbides se succèdent, les polémiques ne manquent pas. Mais quel est le quotidien des directeurs des Ehpad ? Témoignage de deux d'entre eux.

Tout d'un coup, le pays, à commencer par les pouvoirs publics, s'est souvenu qu'il existait quelques milliers d'établissements pour ses aînés les plus fragiles et que ceux-ci étaient particulièrement exposés à ce fichu virus qu'on n'avait pas vu venir. Depuis quelques jours, les sujets de fond dans la presse sur les Ehpad se multiplient, avec les énumérations macabres des dégâts humains.

Un Ehpad près de Paris

Dans un précédent article daté du 24 mars, nous racontions l'hécatombe qui commençait dans certains Ehpad, souvent dans le Grand Est, mais pas seulement. L'alerte donnée par les organisations du secteur, évoquant la perspective de 100 000 morts dans les Ehpad, avait conduit le ministre de la santé à accélérer les livraisons de masques chirurgicaux. 

Mais au fait, comment fait-on tourner des établissements « banals », c'est-à-dire qui ne connaissent pas (encore) de mortalité liée au Covid-19 ? Direction Saint-Ouen, tout près de Paris, dans un établissement public hospitalier comptant 71 résidents, avec une spécialité de personnes précaires ayant souvent un passé psychiatrique. De ce fait, la moyenne d'âge est relativement jeune (78 ans). 

Pas de masque en février

Eve Guillaume dirige l'établissement depuis le 1er janvier. Et c'est son premier poste. Elle semble pourtant avoir l'expérience d'un vieux briscard. « Au départ, on a abordé cette crise comme pour la grippe. Nous savons faire » , explique la directrice. Sentant les choses mal tourner, Eva commande des masques fin février. « On m'a répondu qu'il n'y avait plus de stock. Et puis début mars, l'Etat et les ARS reprennent les commandes de l'affaire », explique-t-elle. 

Système D

La pénurie s'isntalle. Elle n'a plus qu'une centaine de masques, distribués au compte-gouttes. Le 24 mars, suite aux instructions ministérielles, elle en reçoit 400, correspondant à cinq masques par lit et par semaine. Le stock est limité et elle réussit à le renforcer en récupérant un bon millier de masques FFP2 inutilisés par la mairie et 400 venant d'un particulier qui avait hérité du stock d'une entreprise. Par ailleurs, une lingère de l'Ehpad se lance dans la fabrication de masques en tissu pour équiper les agents qui ne sont pas des soignants. 

Un décès lié à un AVC

Dès que possible, l'établissement a suivi les instructions officielles qui visent à constituer un pôle isolé réservé aux résidents présentant des symptômes inquiétants. Seize personnes y ont été accueillis en chambre individuelle ou collective (l'établissement ne permet pas de faire autrement). Voici une semaine, une résidente a été hospitalisée pour un problème autre, un AVC. Sur place, elle a été testée - positive - avant de décéder. 

Deux résidents positifs

Après la chasse aux masques, la directrice s'est lancée dans la recherche de tests. « Nous avons commencé à demander des tests au labo de ville, explique Eve. Mais il ne disposait pas de test. Et ce n'est que lundi dernier que le labo est venu nous déposer trois tests comme le prévoit les textes. Nous avons choisi de les appliquer aux résidents présentant le plus de symptômes. Deux d'entre eux se sont révélés positifs. » Depuis, le personnel en contact avec ces résidents a redoublé de protections. Tout un système indépendant de gestion des plateaux-repas et du linge venant de ces personnes a été mis en place. 

Essayer de ne pas hospitaliser

Parallèlement, toute une réflexion a été conduite avec les soignants ; quels sont les résidents pour qui on appelle le 15 si leur situation se dégrade ? Quels sont ceux pour qui on préférera un accompagnement palliatif ? « On essaie dans la mesure du possible de ne pas hospitaliser les résidents, d'autant que les hôpitaux sont encombrés. Aller à l'hôpital, c'est parfois perdre beaucoup », estime la directrice.  Aujourd'hui, l'Ehpad a récupéré quatre nouveaux tests. « On n'est pas tous égaux face à cela », souligne-t-elle. 

Impact sur la santé

Maintenant que les uns et les autres sont confinés dans leurs chambres, que les rencontres entre résidents se raréfient, Eve est inquiète sur leur santé psychique ; « On observe une perte d'appétit depuis qu'ils mangent dans leur chambre. Le confinement va avoir un impact sur leur santé. » Et pour le reste, Eve veille à ce que son équipe garde le moral. C'est pas facile avec une quinzaine d'agents absents (sur une cinquantaine), même si la plateforme animée par l'ARS permet d'amener des renforts. « On ne peut pas faire plus, d'autant que les équipes étaient en sous-effectif déjà avant le coronavirus. »

Un Ehpad rural en Ardèche

Partons 600 kilomètres au sud dans un Ehpad rural de l'Ardèche (68 lits). Florence (on l'appellera ainsi) dirige un établissement situé à quelques kilomètres d'une petite ville. Ce lundi 23, elle nous a adressé un mail furieux contre l'absence de répondant des autorités par rapport à son cas particulier : emmener un résident au laboratoire de la petite ville faire son test. Ordre et contre-ordre se succèdent entre la cellule de crise et le 15. Florence est ulcérée. « La gestion de cette crise est une honte absolue », écrit-elle.

Amateurisme

On la recontacte deux jours plus tard. L'affaire du transport a finalement été réglée après un imbroglio. « Mais que se passe-t-il si j'ai un deuxième test à faire faire ? On ne connaît pas la marche à suivre », regrette-t-elle. Sur le front des masques, là aussi, l'amateurisme est de rigueur. « Les hôpitaux et les Ehpad qui en dépendent ont été servis. Pas nous ! ». Alors le système D prévaut. Un hôpital a dépanné l'Ehpad avec 500 masques. « Normalement, on tient une semaine avec ce stock », glisse-t-elle. 

Des tranquillisants pour certains soignants

Florence ne supporte plus l'attitude de l'ARS qui ne parle pas franchement de pénurie. « L'autre jour, l'ARS m'a demandé combien j'en voulais. Je lui ai répondu de me donner ce qu'ils avaient. » Cette incertitude accroît encore l'angoisse de nombreux soignants qui continuent à venir malgré tout. « Certains salariés prennent des tranquilisants pour affronter leur peur, le moins qu'on leur doit c'est de tester les résidents pour savoir si la crainte est justifiée ou pas. » Mais ce n'est pas la stratégie officielle qui mise sur le simple confinement pour faire reculer le virus (lire encadré)...

« Des instructions qui ne servent à rien » 

Et puis, la directrice doit se battre avec les organismes qui ont retiré brutalement leurs stagiaires. Maintenant, changement de direction : les stagiaires peuvent revenir. Deux futures aides-soignantes sont de retour pour renforcer l'équipe. Elle peste également contre les consignes irréalisables de constituer une unité protégée pour les malades Covid-19. « Ce n'est pas possible de déplacer des gens comme ça. Nous avons une unité de gens Alzheimer. Et puis, les résidents ont des chambres personnalisées. » Et d'ajouter, agacée : « On perd du temps à lire des instructions qui ne servent à rien. » 

Depuis un ou deux jours, Florence tousse un peu. Si elle est testée positive, elle s'enfermera dans son bureau. Fidèle au poste. Un général ne lâche pas ses troupes en rase campagne.

Pourquoi les morts en Ehpad ne comptent pas (tous)... 

Ces derniers jours, le décompte quotidien des morts du coronavirus précise la mention « décès à l'hôpital ». Ce qui concrètement exclut les très nombreux décès qui ont lieu dans les Ehpad. En fait, cette curieuse situation est liée au fait que la plupart des résidents en Ehpad présentant des symptômes du virus ne sont pas testés (les autorités conseillent d'effectuer trois tests sur tout l'établissement). Quand ils décèdent, personne ne sait s'ils avaient réellement le Covid-19. 

Par exemple, sur les vingt décès d'un Ehpad vosgien (lire notre article), seuls six ont été attribués au virus (et comptabilisés) car ils ont fini leur vie à l'hôpital et ont été détectés.

D'autre part, les Ehpad ne sont pas dotés comme les hôpitaux d'un système informatique recensant tous les événements, dont les décès. La Direction générale de la santé promet une application « dans les prochains jours », qui permettrait aux médecins des Ehpad de déclarer les décès. Mais comme les tests sont pratiqués au compte-goutte, la cause de la mort ne sera jamais simple à établir...

NoëlBOUTTIER
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