Sans tomber dans le catastrophisme, les établissements accueillant des personnes âgées ou les services d'aide à domicile rencontrent de nombreuses difficultés. La perspective de confinement des enfants, déjà à l'oeuvre dans deux départements, risque de priver les structures de salariés.
Jour après jour, la comptabilité macabre se déploie. Ce 10 mars au matin, ce sont 25 décès pour cause de coronavirus qui ont été jusque-là enregistrés dans l'hexagone. Évidemment, on est loin des chiffres astronomiques de notre voisin italien, comptant plus de 400 décès. Pour autant, chaque jour qui passe voit un nombre de victimes plus important que la veille.
Le groupe Korian très touché
La tranche d'âge la plus âgée est la plus concernée par les conséquences de ce virus. La quasi-totalité des décès a été enregistrée chez les plus de 60 ans. Pendant les premiers jours, les Ehpad ont semblé préservés de la contamination. Jusqu'à ce que divers cas soient relevés, dont deux mortels dans l'Oise. Nos confrères de Gerontonews recensent cinq cas dans un Ehpad géré par Korian dans les Yvelines à Louveciennes. Le groupe Korian [1], leader du marché, est particulièrement concerné avec une dizaine de personnes positives dans un établissement du Doubs.
Déclenchement du Plan bleu
Les pouvoirs publics ne restent pas les deux pieds dans le même sabot. Après avoir reçu voici les représentants du médico-social, ils essaient de contenir la propagation du virus dans un secteur particulièrement vulnérable. Le déclenchement du Plan bleu le 6 mars - à l'instar du Plan blanc pour la santé -, permet au ministre Olivier Véran de durcir les consignes. les visites doivent ainsi être restreintes au maximum. Les « gestes barrières » doivent être adoptées en toutes situations pour éviter la propagation du virus.
Fermeture presque totale
Sur le terrain, tout le monde est pleinement conscient de ses responsabilités. Même si la région du Finistère nord où est implanté l'Ehpad des trois sources est encore peu touchée, son directeur Jean-Baptiste Rouffet prend les choses au sérieux. Dans cet établissement qui accueille 85 résidents dont 26 en unité Alzheimer, les familles des résidents ont reçu un courrier les informant que les visites sont restreintes au strict nécessaire. Un registre des entrées a été installé pour permettre une « traçabilité » des passages. Et puis, ces derniers jours, après la consigne de l'ARS, il a décidé de fermer totalement l'établissement aux visites, sauf cas de force majeure.
Dédramatiser la situation
Mais pour ce directeur, l'Ehpad n'est pas mis en difficulté par les consignes du coronavirus car elles sont très proches de celles mises en place contre la grippe. Celle-ci a touché dernièrement l'établissement pendant cinq jours, emportant avec elle deux résidents. En direction des salariés, Jean-Baptiste Rouffet a convoqué une réunion générale le 2 mars. « J'ai joué la carte de la dédramatisation en expliquant que le risque de décès est très faible pour les gens valides », raconte-t-il. Et d'ajouter : « J'espère que les personnels réagiront comme pour la grippe. » Il confie cependant qu'il rencontre un problème structurel avec un tiers d'aides-soignants en arrêt. « Je fais appel à de l'intérim. Mais c'est vrai que l'équipe est fatiguée et qu'elle doit compenser les absences. »
Cellule de crise
La situation est assez proche dans un gros établissement public du Nord, le groupe hospitalier Loos-Haubourdin qui, sur deux sites, comprend 250 lits en Ehpad et 90 lits en section sanitaire. La restriction des visites s'est faite progressivement jusqu'à déboucher samedi 7 mars sur une interdiction quasi-totale. « Samedi dernier, après le déclenchement du plan bleu, raconte sa directrice Séverine Laboue, nous avons réuni pour la quatrième fois depuis le début une cellule de crise » .
Pas plus d'absentéisme
Vis-à-vis des résidents dont beaucoup sont atteints de la maladie d'Alzheimer, des alternatives ont été développées. Les animations internes ont été maintenues, à l'exception des sorties. Les échanges téléphoniques via Skype notamment ont été développés. À l’exception d'une famille très remontée, les autres ont compris la nécessité de confiner leur parent. Du côté des salariés, la direction a organisé deux assemblées générales pour répondre à toutes les questions sur la maladie et ses conséquences. L'absentéisme n'a pas crû depuis le début de la crise.
Liberté pour les pensionnaires
Non loin de là, à Beauvais, dans le (fameux) département de l'Oise, la Maison de Thil qui est partagée par sept malades Alzheimer a mis en place les précautions requises. Pour autant, cette maison gérée par les Petits frères des Pauvres laisse la liberté à ses pensionnaires et leurs familles puisqu'il ne s'agit pas d'un établissement médico-social. La responsable Blandine Binet explique que les Petits frères continuent à visiter les personnes âgées qui le demandent, en prenant le maximum de précautions.
Peut-on limiter les visites longtemps ?
L'Uniopss a écrit le 9 mars au Premier ministre pour faire part des remarques du secteur associatif. L'Union met notamment en exergue l'interrogation des structures sur l'approvisionnement en masques et gels. Elle s'inquiète également du manque de personnel dans les établissements en cas de fermeture des écoles. Par ailleurs, l'Uniopss s'interroge sur « l'impact dans la durée de la limitation des visites notamment sur la santé physique et psychique des personnes âgées (absence de mobilité et de stimulations, isolement social, etc.).»
Dans la même veine, l'AD-PA estime qu'il ne saurait « être envisagé de limiter indistinctement les libertés individuelles de plusieurs centaines de milliers de nos concitoyens. »
Travailler près d'un cluster
Partons tout à l'Est, en Haute-Savoie, précisément dans l'Ehpad Le Bosquet de la Mandallaz, à Sillingy, dans la banlieue d'Annecy. « Notre établissement se situe à quelques kilomètres de La Balme de Sillingy, un foyer du virus, avec 48 cas avérés », explique le directeur Éric Lacoudre. La situation est d'autant plus compliquée qu'un tiers du personnel vit sur la commune de La Balme, considérée comme un cluster du virus. Par ailleurs, une demi-douzaine de familles a un proche infecté. L'inquiétude est patente, tellement le virus semble présent. « La zone de l'hôpital d'Annecy est passée au stade 3, épidémique », précise le directeur, par ailleurs délégué départemental de l'AD-PA.
Risque de manque de personnel
Mais pour l'avenir, les questions ne manquent pas. Sur le plan du nombre de masques, pour l'instant, pas d'inquiétudes : l'Ehpad a été réapprovisionné récemment. « Après notre politique de limiter le port des masques aux soignants, on peut tenir trois semaines », prédit Éric Lacoudre. La seconde angoisse tient au personnel. « S'il y a fermeture d'école à proximité, notamment à La Balme, de nombreuses mères de famille vont devoir prendre en charge leurs enfants. Qui va pouvoir s'occuper des personnes âgées ? » Cette interrogation est d'autant plus forte que la région connaît une pénurie aggravée de personnels liée notamment à la proximité de la Suisse (lire notre article). Rien que pour le département, le délégué départemental de l'AD-PA estime qu'il y a trois cents lits d'Ehpad fermés par manque de personnel. Que se passera-t-il si la situation sanitaire s'aggrave ?
Plan B
Au groupe hospitalier Loos-Haubourdin, on a commencé à réfléchir à ce scénario. « Si on rapatrie l'équipe chargée des soins palliatifs, celle de l'accueil temporaire, si par ailleurs on mobilise des jeunes retraités, je peux réemployer une quinzaine de personnes », explique Séverine Laboue. Mais cet établissement est jugé plutôt attractif dans la région, rencontrant moins de problèmes de recrutement. Qu'en sera-t-il pour des Ehpad plus en difficulté ?
[1] Le groupe Korian n'a pas souhaité répondre à nos questions.
Branle-bas de combat dans le Haut-Rhin
À partir du 9 mars, toutes les écoles sont fermées dans ce département alsacien et les déplacements sont limités au maximum. Dans ce contexte, comment les structures médico-sociales peuvent-elles fonctionner ? Illustration avec le réseau APA (qui emploie dans toute la région plus de 5 000 salariés essentiellement dans l'aide à domicile).
Dès l'annonce de la fermeture des écoles, le vendredi 6 mars, la cellule d'urgence s'est réunie pour mesurer le nombre de salariés qui risquaient d'être absents. Sur deux associations membres du réseau, 75 manquaient à l'appel. Le réseau a alors « dégainé sa plus grande force : la solidarité. » « Des salariés administratifs sont venus prêter mains fortes pour effectuer tous les remplacements, les responsables des services ont ajusté le plan de continuité d'activité, les directeurs étaient sur le pont, les bénévoles affichaient leur disponibilité pour épauler », explique le réseau dans un communiqué. D'autres membres du personnel ont mis une croix sur leurs jours de repos ou ont accepté de faire plus d'heures. Cette mobilisation exceptionnelle peut-elle se déployer au-delà des deux semaines actuelles de fermeture des écoles ?