En annonçant les mesures destinées à lutter contre la pandémie de Covid-19, le gouvernement s'est très peu exprimé sur la situation des personnes sans domicile. Parmi elles, les personnes exilées vivant dans les campements, dans les grandes métropoles mais aussi sur le littoral des Hauts-de-France.
Selon les acteurs associatifs, un millier de personnes survivent dans les campements disséminés dans la ville de Calais et 600 autres dans les bâtiments désaffectés de La Linière à Grande-Synthe. Si à Calais un accès aux besoins de base est assuré par l’État, via son association opératrice La Vie Active - distribution de nourriture, accès aux douches et distribution de bidons d'eau-, la prise en charge de la quasi-totalité de ces besoins repose sur des forces associatives indépendantes à Grande-Synthe. Les exilés n'ont accès ni aux toilettes, ni aux douches sur leur lieu de (sur)vie.
Une lettre ouverte
Dans ce contexte déjà critique, le développement de la pandémie de Covid-19 a de quoi inquiéter. Dans une lettre ouverte, les associations ont interpellé les pouvoirs publics : comment se laver les mains en absence de point d'eau ? Comment détecter les symptômes du Covid-19 alors même que la survie à la rue produit les mêmes symptômes ? Comment appeler le 15 sans téléphone ou sans batterie ? Comment se mettre à l'abri en cas de symptômes avérés ?
Mesures préfectorales
La préfecture a annoncé le 17 mars un certain nombre de mesures. En prévention, l’État dit mettre en place des affiches traduites en différentes langues pour expliquer la situation et sensibiliser aux gestes barrières et installer de nouveaux points d'eau.
Concernant la prise en charge de personnes potentiellement contaminées, la préfecture annonce des maraudes spécifiquement dédiées à l'identification de personnes présentant les symptômes du Covid-19, mises en œuvre par la Croix Rouge. Médecins du Monde a annoncé participer à cet effort collectif en collaborant sur ces maraudes.
Les personnes seront ensuite diagnostiquées dans un accueil de jour spécifique et pourront être orientées vers des centres de desserrement, eux aussi gérés par la Croix Rouge, spécialement dédiés aux personnes sans domicile atteintes du virus.
Besoins fondamentaux
Mais l'épidémie pose aussi de nombreuses questions concernant l'accès aux besoins et aux droits fondamentaux en cette période de crise. Certaines associations composées de bénévoles ont grandement réduit leur activité : nombre d'entre eux, surtout les plus âgés donc les plus vulnérables face au virus, ont arrêté leur activité. L'accueil de jour du Secours Catholique à Calais, très fréquenté, a fermé ses portes. Les maraudes au centre-ville ont diminué.
Reprise de l'aide alimentaire
Pour faire face à ces difficultés, la préfecture a apporté quelques réponses. À Grande-Synthe, l’État a annoncé organiser une distribution de nourriture, opérée par le Secours Populaire. À Calais, les distributions de nourriture se poursuivront. Elles avaient connu une interruption, le temps de se réorganiser pour faire face aux risques de transmission du virus.
« On est face à une population qui nous vient pour partie d'Italie, ce qui a été un sujet de discussion auprès des équipes, avec des nécessités de modifier le système de distribution pour préserver les personnels et pouvoir mettre en œuvre les gestes barrières », indique Guillaume Alexandre, directeur général de La Vie Active. « Aujourd'hui, avec la collaboration des forces de l'ordre et de Salam, association non opératrice de l’État, les distributions vont pouvoir reprendre. Nous aurons également des bus plus grand pour se rendre aux douches, pour éviter la promiscuité ».
Confinés dans les campements
Mais ces gestes barrières risquent d'être difficilement applicables une fois les distributions terminées. Coordinateur régional de Médecins du Monde, Franck Esnée alerte : « Garder un mètre de distance dans une file d'attente pour la distribution des repas, pour être, cinq minutes après, entassés à quatre dans une tente, c'est un peu ridicule. Le problème, c'est que l’État refuse d'héberger ces personnes. Il est obligé d'assumer qu'il les confine dans les campements. »
Éviter les attroupements
La préfecture n'a de fait pas prévu d'héberger les personnes ne présentant pas de symptômes. Celles-ci seront donc « incitées », par les forces de l’ordre, à rester dans et à proximité des campements, pourtant insalubres et saturés. Une mesure qui va « complètement à l'encontre des mesures appliquées à l'ensemble de la population », selon Franck Esnée.
« Si demain il y a un cas dans un campement, on peut être certains que le taux de transmission va être très important. Alors que l'objectif du confinement est de réduire ce taux. C'est pourquoi nous demandons des hébergements individuels ou semi-collectifs, pour éviter les attroupements et donc les contagions ».
Les bénévoles exposés
Hors de Calais et de Grande-Synthe, dans les petits campements situés en bordure des aires d'autoroute dans le Pas de Calais, « on ne sait tout simplement pas ce que c'est que l’État ! », ironise Nan Suel, de l'association Terre d'errance. La prise en charge des personnes survivant dans les campements a été assurée uniquement par les bénévoles : la trentaine de personnes concernée sera confinée chez des particuliers.
« Ce qui me scandalise, c'est que c'est sur nous que ça retombe. On a appelé l'agence régionale de santé (ARS), mais on n'a pas insisté. On n'a même pas essayé d'appeler la préfecture. La politique d'épuisement des forces militantes, bénévoles et associatives fonctionne. Et à chaque fois, ce sont les droits des personnes qui reculent. »
Quid des mineurs isolés ?
Autre sujet épineux, la prise en charge des mineurs isolés. Céline Gagne, de Help Refugees, s'inquiète de leur sort : « Aucune annonce spécifique aux mineurs isolés n'a été faite. » Les associations demandent un renforcement du nombre de places dans les dispositifs d’accueil provisoire d’urgence du département et la mise en œuvre de mesures de confinement pour les mineurs.
Mais leur prise en charge dans les structures collectives, sans mesures sanitaires spécifiques à l'entrée, pose un certain nombre de questions. « Pourquoi ne pas mettre en place immédiatement des structures de quarantaine pour les mineurs isolés identifiés, afin de réduire les risques pour les mineurs vivant en collectif ? » interroge Céline Gagne. Pour l'instant, aucune réponse n'a été donnée.
Par ailleurs, le confinement dans les campements et le délitement du maillage associatif rend ces jeunes encore plus vulnérables : « On perd le contact avec certains d'entre eux car ils ne peuvent plus charger leur téléphone. Les maraudes ont diminué. Les mineurs, et notamment les nouveaux qui vont arriver, vont être encore plus vulnérables face aux réseaux d'exploitation et de traite des êtres humains... »