En mars 2020, une directrice d'Ehpad ouvrait un carnet de bord sur notre site, tandis qu'une photographe et un documentariste exploraient la vie de cet établissement en Seine-Saint-Denis. Résultat : une expo qui mêle l'image et le son et un livre, "Mon Ehpad dans la tempête".
C'était il y a une grosse année, on a l'impression que c'était il y a un siècle. Mi-mars 2020, la vie suspendait son vol. Le coronavirus (comme on le désignait alors) rôdait partout, a fortiori là où vivent les plus fragiles de nos concitoyens, dans les Ehpad. L'inquiétude était à son niveau maximal. « Peut-on préserver les Ehpad d'une hécatombe ? », écrivions-nous le 24 mars. À cette époque, les professionnels du grand âge, à domicile ou en établissement, travaillaient très souvent sans masque et sans réelle protection.
Un Ehpad à huis clos
Pour les journalistes, faire son travail était compliqué. Difficile d'accéder aux Ehpad qui, dans un élan de protection naturelle, avaient fermé leurs portes à toutes les personnes étrangères : paramédical, familles et… presse. À l'occasion d'un article intitulé « Coronavirus : comment les directeurs d'Ehpad pallient tous les manques », nous avions pris contact avec Ève Guillaume, directrice (depuis seulement trois mois) de l'Ehpad public « Lumières d'automne », à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).
« Se battre sans arme »
Comme il n'était pas possible d'entrer dans l'Ehpad, pourquoi ne pas proposer à la directrice de nous raconter ce qui s'y vivait ? Elle accepta alors de fournir, chaque semaine, un récit jour après jour de la vie en Ehpad en période de confinement. C'est ainsi que démarra sa collaboration avec Le Media Social, pendant six semaines, avec une première chronique au titre évocateur : « Se battre sans arme ».
Dans le même temps, Ève Guillaume acceptait la présence régulière d'une photographe professionnelle, LouizArt Lou, qui a la particularité d'avoir été longtemps soignante en psychiatrie. Enfin, voisin de l'Ehpad, le documentariste Jérôme Sandlarz (1), tombant par hasard sur le carnet de bord tenu par la directrice dans nos colonnes, vint frapper à sa porte pour tendre son micro dans l'établissement.
Un matériau considérable
À la fin du premier confinement, mi-mai, un matériau considérable avait ainsi été amassé : six chroniques racontant la vie quotidienne à l'Ehpad à partir de début avril, des centaines de clichés et des heures d'enregistrement.
L'idée a alors germé dans la tête de nos trois protagonistes de proposer une exposition qui mêlerait extraits du carnet de bord, éléments sonores sur la vie de l'Ehpad et, bien sûr, photos en noir et blanc qui donnent à voir la formidable mobilisation des personnels pour éviter l'hécatombe (voir la vidéo ci-dessous).
« Constitué de cinq épisodes d'une dizaine de minutes chacun, explique Jérôme Sandlarz, "Mon Ehpad dans la tempête" donne à entendre une humanité qui se débat avec beaucoup d'énergie et de dignité pour éviter le naufrage. »
Il leur aura cependant fallu être patients et attendre la levée des dernières restrictions sanitaires pour, enfin, ouvrir les portes de l'Ehpad, pour cette exposition visible à partir du samedi 19 juin jusqu'à début juillet, à Saint-Ouen.
« Comme dans les films d'horreur »
En se baladant dans le beau jardin ombragé de l'Ehpad, on tombe sur des phrases qui font tilt. « On a l'impression d'avoir été de la chair à canon », s'exclame une soignante. « Il y a des images qui vont me rester : voir mes collègues faire des journées de 12 heures, des résidents mal en point avec des appareils d'oxygène partout… C'était comme dans les films d'horreur. »
Les résidents ont vécu de façon très différente cette période de covid-19. Liliane, interrogée par Jérôme Sandlarz, confie son ras-le-bol. « Je suis prisonnière moi, ici je suis en prison, j'en ai marre. Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? »
Problèmes psychiques
Pour que tout le monde puisse s'exprimer à l'occasion de cette exposition, nous avons interrogé trois résidents de cet Ehpad dont la moyenne d'âge est plus faible qu'ailleurs (on y reçoit des personnes sortant de la rue ou de lourds problèmes psychiques, comme l'a raconté sa directrice). Andrée Lefrère (ci-dessous) raconte comment elle a traversé cette période sans vraiment se rendre compte de la gravité du covid-19 qui s'abattait sur elle.
Présidente du CVS
Deux autres résidents, Nadine Parent et Claude Fouet, racontent, eux, la vie qu'ils ont à l'Ehpad et qu'ils aiment plutôt. La première nous raconte qu'elle y chante et danse, qu'elle est heureuse, que « les filles [le personnel, NDLR] sont agréables. Y a rien à dire ». Cerise sur le gâteau, Nadine s'est fait élire récemment présidente du conseil de la vie sociale. Une belle revanche pour cette septuagénaire pour qui la vie n'a pas été un fleuve tranquille.
Une aventure humaine
Non contents de proposer une exposition, les trois compères Ève Guillaume, Louizart Lou et Jérôme Sandlarz publient un livre mêlant des extraits du carnet de bord de la directrice, des propos recueillis par le documentariste et, bien sûr, de superbes photos.
Ève Guillaume résume son travail non sans un brin d'ironie : « Le récit du quotidien d'une directrice d'Ehpad, tout juste sortie du confort et de la théorie de l'École des hautes études en santé publique (Ehesp) depuis trois mois. », avant d'ajouter plus sérieusement : « Notre enseignant de gestion de crise nous avait pourtant avertis que ces cours n'avaient pas assez de place dans notre maquette de formation. »
L'épilogue du livre se situe le 26 janvier 2021 quand commence la campagne vaccinale : « Nous espérons que le vaccin tiendra ses promesses et qu'enfin, nous retrouverons la sérénité. »
Mon Ehpad dans la tempête, livre à commander auprès de l'Ehpad Lumières d'automne, 15 bis, rue Edgar-Quinet 93400 Saint-Ouen (10 €, port compris).
(1) Il a signé notamment une série documentaire remarquée sur la vieillesse, diffusée par France culture l'automne dernier.