Pendant l'état d'urgence sanitaire lié au Covid-19, il ne peut y avoir de "sortie sèche" des jeunes majeurs jusque-là pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE). Une mesure que le Collectif « Cause Majeur ! » souhaite voir pérenniser, à l'image des actions prévues par le département de Loire-Atlantique.
Le travail était entamé depuis l’année dernière. Une réflexion du département de Loire-Atlantique et d’une quarantaine de partenaires acteurs de la jeunesse, autour d’un renforcement de l’accompagnement des jeunes majeurs sortant de la protection de l’enfance.
Un plan d'accompagnement à l'autonomie
L’arrivée du Covid-19 n’a pas empêché la commission de se tenir, et les votes électroniques du 30 mars ont laissé place à quatre mesures phares du plan d’accompagnement à l’autonomie de ces jeunes aux besoins particuliers. Dans ce département qui connaît une forte arrivée de mineurs non accompagnés (MNA) depuis environ quatre ans, la question n’a pas attendu le confinement pour être posée.
Déjà, il y a un an, le contrat jeune majeur avait été allongé au-delà des trois mois, « une décision basée sur une question de confiance avec les jeunes concernés, se souvient Fabienne Padovani, vice-présidente aux familles et à la protection de l’enfance. Tant que les jeunes poursuivent une scolarité, le CJM [le contrat jeune majeur] perdure ».
Là, peu de temps après l’annonce du secrétaire d’État Adrien Taquet, qui a interdit ce qu’on nomme « les sorties sèches » pendant le temps que durera le confinement (mesure consacrée par la loi du 23 mars 2020), la Loire-Atlantique frappe fort avec ses quatre axes, dans une logique de renforcement de ce que réclamaient les professionnels de terrain.
Accès au logement
Un premier axe concerne l’accès au logement, sujet cher au département. Des conventions avec des bailleurs sociaux ou le Crous permettront de prioriser des logements pour ce public spécifique, tout comme avec les foyers de jeunes travailleurs (FJT), même en cas de perte d’emploi.
Mais le département souhaite aussi faire le pari de la colocation jeunes majeurs, avec l’appui de techniciens de l'intervention sociale et familiale (TISF) par exemple.
Droit à l’expérimentation
Les axes 2 et 3, basés sur « le devenir adulte » et le « réseau relationnel », rendent possible « le droit à l’expérimentation ». En clair, les jeunes peuvent faire le choix de sortir du système de la protection de l’enfance... pour mieux y revenir.
« Dans des parcours chaotiques comme ceux-là, tu dois avoir le droit de claquer la porte, mais tu dois aussi avoir celui de revenir, insiste Fabienne Padovani. Le jeune pourra se tourner à nouveau vers une association, l’aide sociale à l’enfance, son ancien établissement ou assistant familial ». Pour travailler ces retours via un parrainage, une association d’anciens enfants de la protection de l’enfance va voir le jour.
En parallèle, les entretiens dès 17 ans pour préparer la sortie seront améliorés, le CJM pourra durer jusqu’à 25 ans et le développement de dispositifs d’accompagnement à la sortie déjà existants sera soutenu par le département. Des mesures qui se résument en une seule phrase pour la vice-présidente : « Je ne veux plus de ‘au revoir’ à 21 ans pour les jeunes qui ne sont pas prêts ! C’est un échec pour le département quand un jeune finit à la rue. »
Soutien aux jeunes parents
Enfin, la dernière orientation concerne le soutien aux jeunes parents. « Faire famille a du sens pour les jeunes de la protection de l’enfance », ont relayé les acteurs de terrain. Souvent parents très tôt, ces jeunes majeurs doivent être accompagnés dans cette nouvelle parentalité, notamment avec un accompagnement renforcé de la CAF et de la PMI. « Toutes ces actions vont nécessiter de nouveaux moyens pour les associations, souligne Fabienne Padovani. Donc il faudra faire en sorte qu’elles puissent embaucher de nouveaux travailleurs sociaux. C’est une mutation, un acte politique posé. Mais on y va ».
Pérenniser la fin des sorties sèches
L’inquiétude du collectif « Cause majeur ! » est justement que peu de départements adoptent de telles démarches. Cécile Valla, de la Fondation des Apprentis d’Auteuil, est une des porte-paroles de ce jeune collectif, composé d’une trentaine d’associations, qui se réunit tous les mois. Car la parade d’Adrien Taquet a laissé un goût amer. « Si on peut éviter les sorties sèches pendant le confinement, c’est donc que c’est faisable... tout le temps. On est tous capable de garder un jeune quand il n’a pas les atouts pour se gérer seul. »
L’autre question est celle de la vérification. Qui constate que personne ne met un jeune à la rue actuellement ? « Comme il n’y a pas d’admission, on peut espérer qu’il y a moins de pression à mettre les jeunes dehors », soupire Cécile Valla. Mince consolation.
Début avril, le collectif a alerté sur la situation des jeunes majeurs avec un communiqué rendu possible par des remontées de terrain et des appels à témoignages. Des jeunes inquiets de ne plus avoir de missions ou de revenus, d’autres qui sont hébergés à l’hôtel sans aide alimentaire, ou bien encore verbalisés pour non-respect des consignes de confinement. Beaucoup stressent de ne pas en voir la fin. S’ajoutent à cette longue liste, des équipes de travailleurs sociaux réduites, et, in fine, un accompagnement moindre.
Élargir l'accès au RSA
Cause majeur demande donc à l’État, outre la pérennisation de la fin des sorties sèches, « la pleine effectivité de la mise en œuvre de [cette mesure pendant l'état d'urgence sanitaire] et un élargissement à titre exceptionnel de l’accès au RSA » (actuellement possible à partir de 25 ans). Un appel du pied au gouvernement, pour le moment resté sans réponse.
Le collectif devra t-il compter sur le bon vouloir de chaque département ? « Le communiqué de la Loire-Atlantique vient encore dire que c’est possible, que tout est à inventer. Ce n’est pas un plan d’opportunité qui a été fait, c’est le résultat d’un long travail avec les acteurs de terrain, explique Cécile Valla. Dans d’autres départements, des jeunes se disent ‘et nous ?’ » La question de l’âge « couperet » est-il une question de territoire ?
Un projet à long terme pour l'enfant
Guillaume Briend, directeur du centre éducatif Tréméac à Nantes, a participé aux réflexions avec le département : « Il faut arrêter avec la logique de la barrière. Si on ne rentre pas dans une dimension de projet à long terme pour l’enfant, on sera toujours dans du bricolage. Il faut davantage de souplesse dans l’accompagnement ». Ce que tente de faire Tréméac, avec ses 24 places d’hébergement en petits collectifs ou logements individuels.
Pour le collectif Cause majeur, la bataille continue, affirme Cécile Valla : « Des sujets ont été gelés par la situation, des demandes également, pour les mineurs non accompagnés. Certains jeunes auront aussi besoin d’un psychiatre. Il faudra faire attention à ‘l’après’, qui sait s’il n’y aura pas une explosion de demandes ? » Un bouleversement post-confinement auquel le collectif, comme les départements, se devront d’être attentifs.