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Crise sanitaire : l’heure de vérité numérique

Longs FormatsLaetitia DELHON24 juin 2021
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Le confinement de mars 2020 a conduit le travail social à se réinventer : à distance, sur la toile, par écrans interposés. Un bouleversement majeur pour un secteur où le numérique se déploie de manière inégale. La crise sanitaire y aura servi tant de révélateur que d’accélérateur d'une transition numérique indispensable pour l’avenir.

Passer de l’âge de pierre à l’âge de fer, c’est un peu l’effet confinement sur le numérique en travail social. Caricature ? Pas vraiment.

Dans un secteur qui repose toujours sur la culture de l’oralité et du face-à-face - du présentiel, pour parler 2020 -, le numérique avait jusqu’ici été tenu à bonne distance. Plutôt subi que désiré, plutôt suspect que digne d’intérêt. Il est soudain devenu incontournable.

Une entrée progressive

Bien sûr il avait déjà fait son entrée par endroits - utilisation des tablettes numériques ou jeux vidéo dans les établissements médico-sociaux, télémédecine, dispositif « Promeneurs du net » - et partout via l’avènement des logiciels métiers, à partir des années 2000, puis de la dématérialisation des services publics.

L'écran comme allié

Fabienne Quiriau, directrice générale de la Cnape. DR

De là à imaginer que « l’écran devienne un allié », comme le décrit Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (Cnape), il y avait un grand pas.

Franchi sous la contrainte entre mars et mai 2020, à la faveur d’une crise sanitaire inédite et de son lot d’empêchements : de rencontres, de visites à domicile, de visites médiatisées, d’accueil en institut médico-éducatif (IME) et en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep), etc.

Décomplexer

« L’écran a permis de compenser ce que nous ne pouvions plus faire. Ce qui nous arrive depuis plusieurs mois a décomplexé beaucoup d’adultes, professionnels et parents, face à ce monde numérique auquel on ne peut pas échapper », poursuit Fabienne Quiriau.

En protection de l’enfance, le saut numérique a été considérable, avec parfois des effets inattendus.

Des enfants apaisés

Plusieurs études décrivent ainsi l’apaisement des enfants qui n’étaient plus obligés de se rendre aux visites médiatisées pour voir leurs parents : l’écran faisait tiers, maintenant la distance tout en permettant la communication.

« Il a aussi permis à des familles suivies en aide éducative en milieu ouvert (AEMO) de réinvestir leur rôle éducatif avec l'"école à la maison", plus librement, sans l’intrusion de l’éducateur au domicile », indique-t-elle. Ça, c’est pour les aspects positifs.

Panique à bord

Aux Assises du Cnaemo, en octobre 2020, consacrées à l’impact du numérique sur le travail social. Lætitia Delhon

Mais ils ne peuvent occulter le vent de panique qui a saisi de nombreux services, sous-équipés en matériel informatique, non formés aux usages, aux logiciels, à l’utilisation des réseaux sociaux, à l’environnement numérique, encore moins au travail social à distance.

Il fallait entendre le retour sur expérience des professionnels lors des Assises du Cnaemo à Toulouse, en octobre 2020, pour prendre la mesure des besoins. Depuis, la fédération prépare un « plan nomadisme digital en protection de l'enfance » pour les outiller dans la transformation numérique.

Un guide d'appui breton

Comme un phare dans cet océan virtuel où il a vite fallu apprendre à nager, les conseillères techniques en travail social des quatre conseils départementaux bretons ont accompagné leurs troupes, produisant in fine un guide d’appui du travail social à distance.

« Aucun de nos travailleurs sociaux ne s’était imaginé télétravailler un jour dans sa carrière, là c’était du jour au lendemain, raconte Nathalie Delalande, conseillère technique dans les Côtes-d’Armor. Une soudaineté qui, dans les maisons des solidarités, en polyvalence de secteur, est survenue sur fond de méfiance.

Crainte du « encore moins »

Céline Rousée, conseillère technique dans le Morbihan. DR
Nathalie Delalande, conseillère technique dans les Côtes-d’Armor. DR

« Pour un travailleur social, derrière la notion de travail à distance, il y a la crainte du "encore moins", souligne Céline Rousée, conseillère technique dans le Morbihan. Moins de moyens, moins de visites à domicile. On touche au cœur du métier, l’aller vers, le contact, la proximité. Les obliger à utiliser le numérique dans leurs pratiques professionnelles, c’est inconcevable sur le fond ».

Pas dans les clous

S’ils ont été équipés d’ordinateurs et de smartphones dans l’urgence, « personne ne leur a dit comment faire avec, ils se sont débrouillés avec leurs propres connaissances », poursuit Nathalie Delalande.

Le Règlement général de protection des données (RGPD) ? Cadet de leurs soucis quand il fallut parer à l’urgence, accompagner coûte que coûte, et c’est valable partout : moins les services étaient dotés et acculturés au numérique, moins ils étaient dans les clous côté confidentialité des données.

Rupture technologique

Les récits d’utilisation de groupes Whatsapp en protection de l’enfance, de transferts de données dans les clouds personnels, de clés USB installées sur les ordinateurs familiaux, de publications de photos de publics accompagnés sur des réseaux sociaux sont légion.

« On a des professionnels qui ne veulent pas remplir certaines cases des logiciels métiers parce qu’ils refusent de transmettre certaines informations, mais qui ne se posent pas la question lorsqu’ils communiquent via des réseaux non sécurisés. Cette réflexion doit être portée par l’encadrement. Là-dessus nous sommes un peu des lanceurs d’alerte », résume Nathalie Delalande.

« C'est la loi de la jungle »

Thierry Champailler, directeur d'Espoir CFDJ, en Seine-et-Marne. DR
Jérémy Verdon, éducateur spécialisé au sein d'Espoir CFDJ. DR