Privés de masques ou de gardes d’enfants, les Csapa et Caarud ont pu se sentir oubliés face au Covid-19... Mais Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération addiction, relève aussi des « pas de géant », notamment pour la réduction des risques en hébergements.
Vous réclamez à votre tour des matériels de protection contre le Covid-19, dans un courrier au ministre de la Santé - cosigné avec Aides, la Fédération des acteurs de la solidarité ou l’Uniopss. Quels sont vos besoins ?
Nathalie Latour Le secteur de l’addictologie a été oublié par le ministère, dans les premiers jours de la crise. Nous avons dû lui demander nous-mêmes des consignes pour nos établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS). Mais elles ont été publiées assez rapidement – nous les avons reçues le 20 mars (voir ci-dessous).
Il a ainsi été demandé une continuité de l’activité, pour les Csapa (centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie), comme pour les Caarud (centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogue). Cette poursuite de nos « activités essentielles », du reste, nous la défendons, compte tenu des vulnérabilités de nos publics, dits à « difficultés spécifiques » (selon la loi 2002-2, NDLR). Cependant nous n’avons eu aucun levier pour le faire !
Ainsi le gouvernement a immédiatement organisé une garde d’enfants pour les parents travaillant, notamment, dans certains ESMS – y compris pour les lits d’accueil médicalisés et les lits halte soins santé, qui visent, eux aussi, les personnes à difficultés spécifiques. Pourquoi nos structures n’ont-elles donc pas été incluses dans cette liste, de même que les appartements de coordination thérapeutique (ACT) ? Certes, depuis la semaine dernière, nos professionnels ont enfin accès à la plateforme en ligne, pour pouvoir faire garder leurs enfants. Mais ils ne sont toujours pas reconnus officiellement parmi les bénéficiaires.
De même, les Csapa, Caarud et ACT ne sont toujours pas inscrits parmi les établissements ayant accès aux masques, malgré leurs publics très fragiles. Seules quelques agences régionales de santé (ARS), comme celles d’Ile-de-France ou de Bourgogne-Franche Comté, nous approvisionnent désormais en matériels de protection.
Dans ces conditions, comment les Csapa et les Caarud ont-ils pu poursuivre leurs activités ?
NL Il leur a fallu s’adapter. Les Csapa ont notamment pu mettre en place des téléconsultations. Et elles ont pu ainsi suivre certaines situations explosives - par exemple avec certains jeunes désormais confinés en famille, et soudain privés de cannabis.
Sur les marchés illégaux, en effet, l’offre s’est déréglée, faisant monter les prix et chuter la qualité – avec, aussi, des risques d’overdose accrus avec certains produits. Et du même coup, nombre de personnes jusqu’ici invisibles ont surgi dans les Csapa pour demander des traitements, faute de pouvoir se fournir dans la rue. Il nous faut donc profiter de cette crise pour créer un lien et une alliance avec eux. L’enjeu est donc bien de maintenir également un accueil physique a minima.
Et cela vaut aussi pour les Caarud, même si les accueils collectifs ont laissé la place à des distributions individuelles de seringues propres, ou encore à des maraudes.
Comment ont pu être maintenus les traitements de substitution aux opiacés (TSO) ?
NL Sur ce plan, les pouvoirs publics ont montré de la réactivité. Les patients dont le traitement est stabilisé peuvent maintenant reprendre leur dernière ordonnance périmée, pour aller récupérer en pharmacie jusqu’à 28 jours de méthadone ou de buprénorphine (selon un arrêté du 19 mars, NDLR). Cela a énormément aidé à sécuriser ces patients, parfois très angoissés.
La crise a donc révélé que nous n’étions pas forcément visibles dans les radars des pouvoirs publics… Mais au fond, elle nous a aussi permis plusieurs avancées, que nous demandions depuis longtemps ! À présent nous attendons de nouvelles mesures pour la prévention des overdoses. Et en matière de réduction des risques dans les hébergements, nous avons déjà fait un pas de géant.
Qu’avez-vous donc obtenu ?
NL Face à la pandémie, les hébergements collectifs pour les sans-domicile ont été maintenus, et même étendus, avec des centres désormais ouverts pour ceux atteints par le Covid 19. Or ces confinements en établissements ont exacerbé la question des addictions que peuvent connaître ces publics, dans ce contexte d’anxiété, de perte de liberté de mouvement, de difficulté d’accès aux produits. Les professionnels des centres d’hébergement ont ainsi fait fortement appel aux collègues de l’addictologie – d’où, encore une fois, ce besoin de matériels de protection pour pouvoir leur répondre !
Et parallèlement nous avons beaucoup travaillé la question avec la Dihal (délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement). Et il en est déjà ressorti une recommandation, après un arbitrage réalisé avec la DGS et la DGCS, en à peine dix jours ! Or la délégation y délivre des messages de réduction des risques forts : oui, on peut autoriser une consommation sécurisée d’alcool en hébergement, plutôt que d’y imposer des sevrages brutaux (voir ci-dessous) ! C’est une avancée majeure, pour maintenant et pour plus tard.
Dans votre courrier au ministre Olivier Véran, vous demandez aussi à pouvoir dépister ces publics précaires ?
NL C’est un point très important. Pour pouvoir accéder aux centres « covid », il faut déjà être dépisté positif… Et justement, les tests virologiques vont maintenant pouvoir être déployés, notamment, dans les hébergements collectifs. Or il existe une force de frappe pour le faire : nos structures ont justement l’habitude de dépister le VIH ou le VHC, avec les tests rapides d’orientation diagnostique (Trod). Il serait dommage que les pouvoirs publics ne s’appuient pas sur notre réseau pour atteindre ces publics.
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