Les GEM attirent de plus en plus d’adhérents pour faire face au handicap, souvent psychique. Réunies en journée nationale, pourtant, ces associations de pair-aidance décrivent aussi des équilibres précaires, dans leur composition, comme dans leurs budgets.
Que la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) se le tienne pour dit : ce 29 octobre, à Paris, se tenait la « journée nationale de tous les groupes d’entraide mutuelle (GEM) ». Et pour ses quelque 300 participants, ce rassemblement était l’occasion, certes, de « se retrouver et de nouer des liens », mais aussi « d’échanger sur les difficultés des GEM », comme l’a introduit Marie-Jo Simeoni, administratrice du collectif national inter-GEM (Cnigem) à l’initiative de la réunion. « Et cela nous permettra de les faire remonter à un niveau supérieur, à la CNSA ! » La Caisse finance en effet, via les agences régionales de santé (ARS), ces associations de pair-aidance, lorsque leurs adhérents partagent un même type de handicap - le plus souvent psychique. Or le Cnigem a déjà rendez-vous, le 13 novembre, à la CNSA…
9 000 adhérents de plus
Pour tout dire, on a connu « difficultés » plus inconfortables. La Caisse le mettait en lumière en juillet, dans son bilan d’activité des GEM : en 2018, 13 ans après leur création, les 505 groupes constitués en France ont accueilli plus de 74 000 personnes – soit 9 000 de plus en un an ! Quant aux crédits alloués par la CNSA, ils ont augmenté de 9,5 %, pour atteindre 36 millions d’euros - compte tenu « du rôle important que peuvent jouer les GEM dans le parcours des personnes », comme le saluait la CNSA. « Depuis trois ans que je suis en GEM, je n’en dis que du bien, je fais des activités et je me sens très bien », confirmait ainsi une participante à la journée nationale. Mais quitte à parler des difficultés, ce 29 octobre, les adhérents comme les professionnels ont décrit, aussi, des équilibres précaires.
Prises de pouvoir
De fait, ces structures vouées « à favoriser le lien social et la citoyenneté », selon leur cahier des charges, sont nécessairement des associations. « Et des fois, en association, certains prennent le pouvoir et cessent de faire fonctionner la démocratie », avertit Dominique Launat, également administrateur du Cnigem. « Ainsi un président décide de plein de choses sans demander l’avis des autres… » Les formations proposées par son collectif, depuis 2018, sensibilisent donc les GEM, notamment, à ce risque.
Réunir des pairs
De même, en association, la « qualité de membre » peut parfois faire débat... Et en GEM, toute la question est de pouvoir réunir des pairs. Ainsi le GEM d’Arnouville, dans le Val-d’Oise, est aujourd’hui investi par les usagers de la Maison des solidarités voisine. « Ce sont des gens en errance, sans papiers, qui viennent squatter toute la journée », détaille un adhérent, récemment élu président. « Ils sont désormais plus nombreux que nous ! » Et d’après lui, plusieurs « gemeurs » ont préféré partir. A ses côtés, son animateur fait la moue : « Le problème vient aussi du manque d’hébergements dans le Val-d’Oise… » Le président est néanmoins décidé à refermer ses portes, au nom de la « philosophie de la pair-aidance » : « Nous, nous sommes en difficultés psychiques ! »
Difficile accueil des grands exclus
Ce type de tension n’est manifestement pas unique. Le GEM de Bastia, par exemple, a été « fragilisé » par la fréquentation d’une personne sans abri, « éloignée du cadre », comme le rapporte Marie-Jo Simeoni. « Mais on a décidé de l’accompagner pour intégrer le groupe. » En revanche elle a préféré refuser une seconde, cette fois, « trop destructurée ». La coordinatrice a trouvé cela « très violent »... Mais « un GEM est fragile », conclut-elle, avant de s’en remettre au cahier des charges. De fait, « l'accueil de la « grande exclusion » (… ) n'est pas la vocation du GEM », y est-il indiqué – quoique « le fait d'avoir ou non un logement stable ne saurait intervenir de façon discriminante » dans l’adhésion à l’association.
Quelle place pour les professionnels ?
Mais cette « parité » entre les adhérents ne peut-elle pas être remise en cause, également, par les salariés ou les bénévoles eux-mêmes ? Le cahier des charges, sur ce point, ne manque certes pas de consignes pour organiser la collaboration. Et après tout, en GEM, « nous sommes tous pairs, puisque nous partageons un même objectif de citoyenneté », estime Dominique Launat, lui-même « ancien professionnel de la psychiatrie ». Pour autant, au groupe d’Arnouville encore, le président a l’impression que l’une de ses animatrices « vit sur le dos du GEM » : « Elle vient quand elle veut, et elle profite du fait qu’on est à l’Ouest ! »
Et que penser d’une convention signée avec un établissement de santé, qui détache des soignants « pour nous aider dans la direction et la gestion du GEM », comme le demande un adhérent de Reims ? « Pourquoi pas, si les adhérents le souhaitent », répond Dominique Launat. Il rappelle toutefois que le GEM n’a pas de vocation thérapeutique. « Et la subvention versée au groupe ne doit pas être annexée par l’institution », alerte un représentant d’Egly, dans l’Essonne…
Déséquilibres budgétaires
De même, quand le GEM décide de se faire aider par une association gestionnaire, « il faut demander des informations sur l’utilisation faite de votre subvention », recommande Dominique Launat. « C’est votre argent », insiste à son tour Marie-Jo Simeoni. « Il faut être extrêmement vigilant ! »
De fait, ce sont déjà des déséquilibres budgétaires croissants, que le Cnigem devrait rapporter à la CNSA. « Nos subventions sont en légère augmentation, alors que le nombre d’adhérents, lui, est en hausse constante », résume le coordinateur du GEM de Saverne (Bas-Rhin). « Il serait intéressant de pouvoir augmenter le nombre de salariés », ajoute un trésorier. Du reste l’enveloppe versée, en moyenne de 79 000 euros par an, est prévue pour le loyer, le personnel, mais aucunement pour les activités. Dès lors, pour proposer du théâtre ou un atelier radio, « c’est le système D », regrette-t-on dans la salle.
Un argument de poids
A leur rencontre à la CNSA, le 13 novembre, les porte-parole du Cnigem ne manqueront donc pas d’exemples concrets pour plaider une consolidation des GEM. Un coordonnateur leur a même livré un argument de poids : « Les GEM évitent pas mal de dépenses aux pouvoirs publics. On aimerait que les fonds économisés nous reviennent un peu. » La CNSA est maintenant prévenue.