Dans cette tribune libre*, Khaled Sabouné, maître de conférences en management à Aix-Marseille Université, invite les managers du médico-social à ne pas percevoir la formation comme une contrainte, mais comme une opportunité pour développer leur capital humain, social et psychologique.
La fonction managériale dans le secteur médico-social s’est structurée au fil du temps, parallèlement à l’évolution de l’environnement réglementaire. Si les premiers managers ont créé les outils d’intervention sociale contemporains, ceux d’aujourd’hui appliquent la déclinaison locale des politiques publiques [1].
Plus concrètement, les managers du secteur sont dorénavant soumis à des normes gestionnaires et à des indicateurs standardisés calqués sur les exigences des pouvoirs publics qui visent l’amélioration continue de la performance des établissements médico-sociaux [2].
Les quatre grands rôles du directeur
Ainsi, les rôles du directeur d’établissement dans le champ de l’action sociale ou médico-sociale sont définis par le référentiel professionnel des directeurs d’établissement ou de service d’intervention sociale. Le directeur d’établissement est dorénavant amené à exercer un rôle de généraliste dont les activités s’articulent autour des quatre grands rôles que sont :
- la définition et la conduite d’un projet d’établissement à visée stratégique et opératoire (pilotage, mise en œuvre et évaluation du projet d’établissement…) ;
- le management des ressources/relations humaines et l'animation des équipes (GPEC, mise en place d’une politique de communication interne…) ;
- la gestion des moyens et des services généraux, et le pilotage économique et financier de son établissement (élaboration du budget de l’établissement, mise en place d’une politique de prévention et de gestion des risques…) ;
- la participation à l’évaluation de l’action sociale avec ses conduites d’actions sur son territoire (analyse de l’environnement et de ses acteurs…).
Un sentiment d’impuissance
Les managers du médico-social sont donc invités à rationaliser les organisations, développer une vision prospective et stratégique, veiller à la qualité de la prise en charge des usagers, gérer les risques et les crises, faire face à un environnement de plus en plus complexe et instable, jouer le rôle d’équilibriste pour tenter de répondre aux attentes des parties prenantes internes et externes, manager des équipes pluridisciplinaires, gérer des paradoxes, innover, anticiper, piloter…
Les métiers d’encadrement et de direction dans le secteur médico-social sont donc devenus plus complexes humainement, plus compliqués techniquement et plus denses temporellement.
Ainsi, de nombreux managers notent que l’intensification de leur travail, le manque de temps et de moyens les empêchent de remplir convenablement leurs missions et de répondre aux exigences et besoins de leurs partenaires professionnels de façon satisfaisante. Ils expriment un sentiment d’impuissance qui influe sur leurs croyances en leur capacité à faire face à des injonctions parfois paradoxales, à manager des situations complexes ou conflictuelles.
Des tensions de rôle
Des managers du médico-social se trouvent donc confrontés à des tensions de rôle. Ces dernières se développent quand un individu est confronté à des attentes de rôle qui lui paraissent trop ambiguës, nombreuses ou incompatibles entre elles.
Les tensions de rôle peuvent influer sur la santé au travail, l’engagement et la performance du manager et sur la relation avec ses équipes, et peuvent le conduire à développer des comportements de retrait temporaire ou définitif (absentéisme, intention de départ, départ effectif).
Les connaissances techniques ne suffisent pas
Pour gérer ses tensions de rôle, faire face à un environnement de plus en plus et complexe et contribuer à la performance de son établissement, le manager doit se doter non seulement des connaissances techniques dans les différents domaines de gestion et d’administration (démarche qualité, management stratégique, gestion budgétaire…), mais aussi des compétences cognitives et sociales, et des ressources psychologiques.
Les compétences cognitives
Les compétences cognitives (raisonnement analytique…) aideraient le manager à analyser son environnement de travail (interne et externe) et ses contraintes pour pouvoir mettre en place une organisation du travail et des outils de gestion plus adaptés, à comprendre les transformations et les injonctions du secteur médico-social pour donner plus de sens à son action et à celle de ses collaborateurs, à identifier ses propres rôles, à prioriser ses tâches…
Les compétences sociales et relationnelles
Les compétences sociales et relationnelles, notamment le sens de la communication, l’empathie, la patience, l’écoute et la force de persuasion, sont nécessaires pour construire des relations de travail sereines et bienveillantes avec les partenaires professionnels (collaborateurs, supérieurs hiérarchiques, autorités de tutelle…). Ces compétences sociales permettent au manager de développer un management de proximité basé sur la confiance avec ses collaborateurs, de pouvoir gérer des équipes diverses et pluridisciplinaires, de défendre ses stratégies et valeurs, de négocier efficacement des subventions, de développer son propre réseau professionnel, de rassurer les usagers et leurs familles…
Les ressources psychologiques
Les ressources psychologiques, notamment la résilience, l’optimisme, l’espoir et le sentiment d’auto-efficacité, fournissent aux managers une robustesse mentale leur permettant de gérer efficacement le stress et les exigences du travail [3]. Ces ressources contribuent ainsi à l’augmentation de la performance de l’individu et favorisent des attitudes de travail positives [4]. Il est à noter que ces quatre ressources psychologiques sont considérées comme des états (et non comme des traits de personnalité) que l’individu peut développer [5].
Les exigences du décret de 2007
Comme noté dans une précédente tribune, les critères de recrutement des managers du médico-social reposent souvent sur leur expertise technique et leur niveau de formation et semblent négliger leurs qualités relationnelles et leur capital psychologique.
En effet, le décret 2007-221 du 19 février 2007 relatif à la qualification des fonctions de direction édicte le niveau de base d’un directeur d’établissement médico-social. Celui-ci doit être titulaire d’un diplôme ou d’un certificat de niveau 6 (bac+ 4) ou niveau 7 (bac+ 5) selon la taille, les ressources financières et le chiffre d’affaires de l’établissement.
Créativité et esprit critique
Pour que la formation soit « la solution et non le problème », elle ne devrait pas se limiter à l’acquisition des connaissances théoriques et éventuellement l’amélioration de l’employabilité de l’apprenant grâce à des périodes de professionnalisation en établissement (stage, apprentissage…). Elle devrait ainsi jouer un rôle essentiel dans le développement du capital humain, du capital social et du capital psychologique du manager grâce à la mise en place des outils pédagogiques adaptés (mise en situation, jeu de rôle, enseignements interactifs…) qui :
- permettent aux apprenants de mieux se connaître et de gagner en confiance en soi ;
- favorisent les interactions et les échanges entre participants issus de divers horizons sociaux et professionnels ;
- qui libèrent la créativité et encouragent la prise de risque (mesurée) et d’initiative des apprenants ;
- cherchent à développer l’esprit critique et d’analyse et à susciter la curiosité intellectuelle des participants.
Une opportunité
Pour conclure, nous invitons les actuels et futurs managers à ne pas percevoir la formation comme une contrainte, mais comme une opportunité pour développer leur capital humain, capital social et capital psychologique pour plus d’épanouissement, de bienveillance et de performance au travail.
[1] Haurie J-L. (2015), « Évolution du métier de directeur et évolution des missions des CAF, ou de Prométhée à Sisyphe », Informations Sociales, n° 189, p. 62-70.
[2] Sabouné K. (2021), « Le faible soutien social des supérieurs hiérarchiques : un élément perturbateur du contrat psychologique relationnel des salariés opérationnels du secteur médico-social », Management & Avenir, n° 124, p. 37-55.
[3] Baron R. et al. (2013), « Why entrepreneurs often experience low, not high, levels of stress : The joint effects of selection and psychological capital », Journal of Management, vol. 42, p. 742-768.
[4] Peterson S. J. et al. (2011), « Psychological capital and employee performance : A latent growth modeling approach », Personnel Psychology, vol. 64, p. 427-450.
[5] De Hoe R., Janssen F. (2016), « Le capital psychologique permet-il d’apprendre et de rebondir face à un échec entrepreneurial ? », Management international, vol. 20, p. 18-28.
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