Le gouvernement a annoncé dimanche 19 avril la possibilité pour les familles de rendre visite, sous conditions, à leur proche, résidant en Ehpad. La mise en oeuvre de cette ouverture réclamée par les professionnels n'est pas sans soulever des interrogations de fond et pratiques.
Dimanche soir, le Premier ministre tenait une conférence de presse (sans journaliste) sur le coronavirus. De ce long monologue, la seule annonce réelle est venue de... son ministre des Solidarités et de la Santé. Olivier Véran a, en effet, déclaré qu'un droit de visite sera instauré pour les familles en Ehpad et les unités de soins de longue durée (USLD) « dès demain », c'est-à-dire lundi. Et il a ajouté : « Ce sera à la demande du résident, ce sera dans des conditions extrêmement, vous l’imaginez, limitées, pas plus de deux personnes de la famille […], ce sera sous la responsabilité des directions d’établissement qui devront dire à la famille lorsque ce sera possible et dans quelles conditions ».
Protéger les populations les plus fragiles
Pour aboutir à cette déclaration, il a fallu plusieurs semaines de bataille des fédérations du grand âge. Pour le pouvoir, en cette mi-mars où le confinement s'est organisé dans la précipitation, une vérité scientifique ne peut être contestée : les populations fragiles, à commencer par les très âgées, doivent être le plus possible protégées, quitte à les couper de toutes leurs relations sociales. Le 1er avril, les Petits frères des pauvres expriment leurs fortes réticences vis-à-vis du confinement individuel qui a de lourdes conséquences : « capacités musculaires dégradées », « l'aggravation des états dépressifs et syndrome de glissement. »
Dénutrition, glissement
Sur le terrain, toutes les remontées font état d'une grande inquiétude vis-à-vis de la santé psychique des résidents. Les problèmes de dénutrition, de glissement, notamment, deviennent un souci quotidien. Sur la question du deuil, les équipes sont nombreuses à desserrer l'étau pour laisser les familles dire un dernier au revoir à leur défunt.
Un peu d'autonomie pour les résidents
Ces derniers jours, plusieurs documents officiels insistent sur la nécessité de préserver un peu d'autonomie aux résidents. Le Comité consultatif national d'éthique s'oppose au confinement total des personnes âgées et souhaite préserver un espace de liberté. Dans un registre pratiquo-politique, l'ancien député socialiste Jérôme Guedj propose une boîte à outils pour lutter contre l'isolement des âgés. Dans son rapport remis le 5 avril, une des propositions concerne l'allégement du confinement en Ehpad. Le ministre de la santé lui demandera quelques jours plus tard de consulter les organisations pour déterminer un cadre opérationnel à ces visites.
Le Premier ministre à la rencontre des fédérations
La semaine dernière, les choses se précipitent. Le Premier ministre s'invite à la réunion hebdomadaire des grandes fédérations avec la DGCS pour suivre les divers dossiers du Covid-19. Les participants soulignent qu'Édouard Philippe a pris la peine d'écouter longuement les différents participants (la réunion a duré plus de deux heures). La question du confinement et de l'isolement grandissant des résidents a été au centre des échanges. L'annonce de dimanche n'arrive pas par hasard ; elle marque une victoire des professionnels qui ont fait entendre les réalités du terrain.
Les visites ? Pas pour tout de suite
« Lundi toute la journée, raconte Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa (qui regroupe les établissements lucratifs), les Ehpad ont reçu des dizaines d'appels des familles. » Celles-ci ont pris au pied de la lettre la déclaration du ministre annonçant des visites « dès demain ». « À part les établissements qui s'y préparent depuis plusieurs semaines, les visites ne pourront pas commencer tout de suite », prévient la représentante du Synerpa qui avait été une des premières fin février à tirer le signal d'alarme sur le retard français et à demander des « consignes claires de prévention » en direction des établissements.
4 à 5 visites par jour
La déléguée du Synerpa n'exclut pas que certaines visites commencent dans deux ou trois semaines. Et à raison de quatre ou cinq visites par jour, il faudra deux semaines pour que toutes les visites aient eu lieu une fois. La Fnadepa qui applaudit des deux mains cette avancée, appelle elle aussi à la patience « quant au délai de mise en œuvre de ces visites et au respect des procédures établies par l’établissement. »
Protocole officiel
Les questions à régler ne sont pas minces pour les directions qui doivent déjà travailler avec des effectifs restreints. Dans un protocole rendu public le 20 avril au soir, l'État encadre les conditions qui doivent être remplies pour l'organisation des visites. La demande devra émaner du résident, les proches - deux maximum - devront signer une charte de bonne conduite. La visite devra durer en général une demi-heure (et maximum une heure). Bien entendu, aucun contact physique ne pourra avoir lieu entre le résident et ses proches.
Un professionnel par rencontre
Évidemment, les consignes de sécurité sont drastiques : lavage des mains, port du masque, prise de la température, remplissage d'un questionnaire (attestant de l'absence de symptômes)... Les directions d'établissement vont devoir également trouver un lieu adapté (un jardin par exemple), en veillant à ce que les familles ne croisent pas les résidents. Le document officiel précise la nécessité de mobiliser un professionnel pour encadrer la rencontre.
Le retour des bénévoles et des kinés ?
Très bien, mais comment faire avec des effectifs restreints et souvent épuisés ? Pour l'Uniopss, ce nouveau service à apporter aux familles ne peut être réalisé que si les bénévoles reviennent dans les établissements. Pour l'instant, l'État écarte cette possibilité sauf pour des cas très particuliers de bénévoles « professionnels » comme les pompiers. À cette demande, l'AD-PA ajoute également le retour des kinésithérapeutes qui ont quitté les établissements au tout début du confinement. L'association des directeurs milite pour un retour des psychologues et un plan de recrutement tellement les besoins vont être importants.
Inquiétudes pratiques
Pour réussir le retour des familles dans les établissements, il faut, selon Laurène Dervieu, chargée du vieillissement à l'Uniopss, « des garanties pour protéger les familles et les résidents. » Cela passe notamment, souligne Éric Frégona, directeur-adjoint de l'AD-PA, par la fourniture de masques aux établissements par l'ARS pour les familles. Des problèmes pratiques pourraient également se poser. Certains directeurs ont déjà expliqué que la double circulation visiteurs/résidents est quasiment impossible à mettre en place en Ehpad. D'autres doutent de la capacité de faire respecter les gestes barrières : comment empêcher une vieille personne de vouloir serrer dans ses bras un enfant ?
Plaintes contre X
Une dernière chose : quid de la responsabilité des directeurs si les visites ne se déroulent pas comme prévu ? Depuis le début de la crise, de nombreuses familles ont déposé plainte contre X pour homicide volontaire, mise en danger de la vie d'autrui ou non-assistance à personne en danger (dont quatre pour le seul Ehpad de Mougins, Alpes-Maritimes, appartenant à Korian où 36 résidents sont décédés). Les directions n'ont pas envie de payer pour un État qui, en matière de prévention, de fourniture de masques et de tests (lire encadré) a multiplié retards et négligences.
Tests : des avancées... dans le désordre
« On attend la doctrine depuis une semaine », soupire Éric Frégona (AD-PA). Sur le front des tests, on sait que l'État a annoncé qu'il souhaitait en réaliser 50 000 par semaine dans les Ehpad. Pour le reste, bien malin qui comprend la stratégie nationale... Certaines régions comme l'Occitanie ou Paca se sont engagées à tester l'ensemble des personnels et résidents. En Auvergne-Rhône-Alpes, c'est le petit département de la Haute-Loire qui ouvre le bal. Là, l'hôpital de Puy a été en lien étroit depuis le début de la crise avec les Ehpad. En Mayenne, une stratégie de dépistage des établissements médicaux et sociaux a été lancée, en ciblant prioritairement les Ehpad. Quant au Grand-Est, la région a déjà lancé un vaste programme de tests (lire notre enquête).
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