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Écoles de travail social : s'adapter à un nouveau public d'étudiants

Longs FormatsSophie LE GALL11 juillet 2024
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Des étudiants très jeunes, à la fois plus revendicatifs et moins engagés que leurs aînés, hyperconnectés, en difficulté avec l’écrit, mais aussi plus précaires financièrement… Si le constat est évidemment à nuancer, le public des écoles de formation en travail social a indéniablement évolué. Un défi pédagogique auquel ces dernières s'efforcent de s'adapter.

Yves Meunier, directeur du pôle Recherche, innovations, développement à l’IRTS Nouvelle-Aquitaine Bordeaux (Talence), recadre d’emblée la problématique de l'arrivée de celle qu'on nomme la « Gen-Z » (pour Génération Z) en école de travail social : « Oui, il semblerait que les étudiants aient rajeuni, même si on manque de chiffres nationaux pour évaluer précisément cette évolution, mais surtout, les formateurs ont vieilli ! Ce ne sont pas des jeunes plus particuliers qu’avant, c’est plutôt le monde dans lequel ils vivent qui change très vite ».

Un « effet d'âge »

Et si l’incompréhension face à cette génération (groupe d’individus nés entre la fin des années 1990 et le début des années 2010) n’était finalement que la répétition, époque après époque, d’un grand classique, celui du décalage intergénérationnel ? Au final, un simple « effet d’âge », chacun bien dans son rôle : les plus âgés tentant de rappeler le cadre, les plus jeunes se chargeant de le bousculer.

Probablement, mais pas seulement, car la bascule dans le tout numérique, et, expérience visiblement tout aussi impactante, la crise sanitaire et sociale du Covid-19 sont passées par là.

Une jeunesse éprouvée…

Marie-Pierre Antonelli, formatrice de la filière assistants de service social et référente handicap à l’École supérieure de travail social (Etsup, Paris). DR

« De jeunes adultes ont vécu leur adolescence dans des circonstances inédites, justement à une période de leur vie où la sociabilisation est très importante », rappelle Marie-Pierre Antonelli, formatrice de la filière assistants de service social, et référente handicap à l’École supérieure de travail social (Etsup, Paris). « Pour certains, ce furent deux ans coupés du monde, sans expérience de l’autre ou de l’extérieur », abonde Johan Kurtz, responsable de formation filière éducateurs spécialisés à l’IRTS Parmentier (Paris).

Les conséquences de la période Covid sur la santé mentale sont désormais bien documentées et s’avèrent particulièrement préoccupantes pour les jeunes. L’étude EnClass de Santé publique France et de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), parue en avril 2024, démontre que la santé mentale des adolescents s’est « nettement dégradée entre 2018 et 2022 ». Une dégradation « plus marquée chez les jeunes filles, qui creuse l’écart garçons-filles déjà observé auparavant » : conclusion intéressante rapportée au public extrêmement féminisé des formations en travail social.

Davantage d'anxiété

Les experts expliquent cet écart par un développement plus précoce des jeunes filles, qui ressentiraient très tôt la pression sociale, notamment celle de la réussite scolaire. « Sur 150 étudiants en première année en filière ES, 10 % ont arrêté en cours de formation et pour la moitié d’entre eux le motif était une hospitalisation afin de prendre en charge leur santé mentale », indique, pour illustration, Johan Kurtz.

À l’Institut de formation, recherche, animation, sanitaire et social (Ifrass), basé à Toulouse, Amèle Lakhouache, responsable des études et des parcours, observe « davantage d’anxiété » chez les étudiants qui étaient lycéens pendant le Covid, « des jeunes qui semblent mieux chez eux qu’à l’école, qui réclament des cours en visio ».

Des étudiants précarisés

Maude Chantepy, présidente de la Fnems. DR

On le sait, la crise sanitaire a également aggravé la précarité étudiante, sans que l’on relève, depuis, d’amélioration. 

Maude Chantepy, présidente de la Fédération nationale des étudiant.e.s en milieu social (Fnems) livre quelques-uns des premiers résultats de la seconde édition de l’étude nationale que la fédération mène tous les deux ans sur les conditions de vie des étudiants en formation du travail social (diffusion des résultats complets attendus à l’automne 2024) : « 28 % des sondés déclarent régulièrement sauter un repas, en premier lieu pour raison financière et aussi par manque d’organisation ».

Des abandons

L’étude révèle également que 19 % des sondés sont en situation d’emploi « avec une part importante d’étudiants travaillant plus de 12h par semaine », s’alarme Maude Chantepy. « La précarité se fait de plus en plus forte », confirme, sur le terrain, Johan Kurtz, « avec des cas d’étudiants qui mettent en difficulté leurs études en raison de leur job alimentaire ».

Pour tenter de les soutenir, l’IRTS Parmentier a créé, en 2023, deux nouveaux postes à temps partiel d’assistante sociale et de psychologue. Même constat inquiétant à Ocellia, école des métiers Santé Social en Auvergne-Rhône-Alpes : « Malgré diverses mesures, comme l’orientation vers les maisons des solidarités, le fonds d’urgence de la région ou encore les paniers suspendus (aide alimentaire), on note des abandons de la formation par nécessité d’aller travailler », constate amèrement Camille Col Eyraud, directrice du campus de Valence de cette école.

Le poids du logement

À Toulouse, la situation semble tout aussi préoccupante, comme en témoigne Olivier Berne, formateur, collègue d’Amèle Lakhouache à l’Ifrass : « L’explosion du coût du logement pèse lourd dans le budget des étudiants. Ceux qui habitent chez leurs parents s’en sortent, ceux qui doivent se rapprocher de l’école beaucoup moins. Nous avons récemment organisé un voyage d’études et quand nous nous sommes penchés sur le budget, nous nous sommes rendu compte de ressources extrêmement modestes. On a actuellement le cas d’un jeune, logé à Perpignan, qui ne peut plus faire les allers-retours. On va tout faire pour l’aider, il n’est qu’à quelques semaines de décrocher son diplôme. Mais cela reste du bricolage que l’on ne peut faire que pour quelques étudiants ».

Quid des aides ?

Selon leurs observations, les étudiants s’engageant dans des formations infrabac, comme celle de moniteur éducateur, semblent disposer de plus faibles ressources que la moyenne « alors même qu’ils ont accès à peu d’aides financières, ni celle de la région (NDLR : chaque région choisit les filières qu’elle souhaite soutenir à travers des bourses) ni celles du Crous ».

La Fnems s’est emparée de la question de « l’accès plus ou moins bien fléché et égalitaire selon les régions », aux aides du Crous. Par ailleurs, les deux collègues de l’Ifrass remarquent que la voie de l’apprentissage peut être choisie « avant tout parce qu’elle offre une rémunération ».