Confinement en chambre, visites complètement suspendues puis soumises à un strict encadrement… Les mesures prises afin de protéger les résidents d'Ehpad, très vulnérables au coronavirus, ont restreint de fait leurs libertés et leurs droits fondamentaux."Protéger sans isoler" implique pour les directeurs de ces établissements des arbitrages éthiques complexes, au risque parfois du conflit avec les familles.
Comment faire respecter le confinement à un résident désorienté qui a pour habitude de déambuler ? Peut-on interdire à un couple de s’embrasser lorsque Monsieur rend visite à sa femme vivant en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et que tous deux partagent plus de 60 ans de mariage ?
Doit-on réaliser un test de dépistage du Covid-19 sans le consentement d’un résident, alors que l’établissement compte des cas positifs ? Peut-on autoriser une famille à partager un gâteau pour célébrer l’anniversaire de leur proche ? Est-il juste d’interdire tout contact tactile y compris pour les résidents atteints de troubles cognitifs, pour qui le toucher constitue le seul moyen de rentrer en contact avec autrui ?
Autant de questions concrètes qui interrogent au quotidien les professionnels exerçant en Ehpad.
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« Pas de certitudes »
« Il n’y a pas de bonne réponse, estime Isabelle Bonraisin. Au bout d’un moment, il faut bien faire un choix, qui peut être arbitraire. Ce n’est qu’au bout d’un jour ou deux que l’on comprend si c’était le bon », poursuit la directrice de la résidence Le Clos du Moulin, un établissement privé à but non lucratif situé en Loire-Atlantique.
Avant de conclure qu'après trente ans d'exercice dans le secteur, elle n'a « toujours pas de certitudes. Chaque résident, chaque situation sont uniques. »
Un geste très intrusif
Un exemple de choix qu’elle a regretté par la suite ? « Le fait d’avoir testé tous les résidents. Certaines personnes avec des troubles cognitifs ne comprenaient pas le geste, très intrusif. L’infirmière référente a été très mal pour gérer ces situations. On a fait les tests car le virus était entré dans l’établissement. Je sais que je ne recommencerai pas à tester tout le monde. »
Agir dans l'urgence
Si le questionnement éthique n’est pas nouveau dans les Ehpad, il a été exacerbé avec la pandémie de Covid-19, marquée par l’urgence. Au mois de mars, du jour au lendemain, les directeurs d’Ehpad ont dû organiser la prise des repas en chambre, refaire les plannings du personnel, trouver des solutions pour maintenir le lien avec les familles et gérer l’angoisse permanente de voir le coronavirus entrer dans leur établissement.
L’isolement strict dans les chambres nous a paru d’une violence extrême
Clarisse Reydant Coupey, directrice d'Ehpad
Directrice de l’Ehpad public territorial la Pommeraie à Perigny (Charente-Maritime), Clarisse Reydant Coupey se souvient : « Au début de l’épidémie, nous ne nous sommes pas vraiment posé la question du respect de la liberté d’aller et venir. Nous étions effrayés par les effets du Covid-19 sur les personnes âgées et par ce que vivaient nos collègues du Grand Est et d’Ile-de-France. Nous avons suivi à la lettre les préconisations faites au niveau national. »
Mais au bout de deux semaines, la directrice choisit d’alléger le protocole : les résidents ont le droit de circuler librement d’abord étage par étage, peuvent sortir dans le jardin... « L’isolement strict dans les chambres nous a paru d’une violence extrême, cela allait tellement à l’encontre de ce que pourquoi nous faisons notre métier, de nos valeurs. »