Voici un "Carnet de bord" qui accueillera chaque semaine une de nos quatre chroniqueuses. Chacune nous parle de son quotidien professionnel et de ses multiples interrogations. Pour cette première tribune libre *, retrouvons Eve Guillaume qui nous avait déjà raconté le premier confinement de son Ehpad.
La deuxième vague de l’épidémie de Covid-19 déferle partout dans nos établissements en France, tous secteurs confondus. Nous sommes mieux préparés que pour la première vague : dépistage accessible, équipements de protection individuelle, protocoles, formation du personnel… Mais l’inquiétude désormais réside dans notre capacité à faire tenir nos organisations sur le long terme dans ce qui s’est transformé en un marathon contre le virus.
Constitution de plannings chronophage
Les cadres de service sont mobilisés depuis plusieurs mois sur la gestion des plannings pour que les effectifs soient au complet. Recruter, remplacer, réorganiser. Un travail qui monopolise une bonne partie de leur activité au détriment d’autres. L’absentéisme a rarement été aussi important et les difficultés de recrutement persistent. Un constat qui m’amène à penser que la constitution des plannings est une activité chronophage qui embolise les cadres de santé au détriment d’autres de leurs compétences bien plus précieuses : le contrôle, le suivi qualité, la conduite de projet. Le recrutement d’un agent mutualisé à la conception des plannings, une solution de plus en plus envisagée au niveau du groupement des Ehpad publics de notre département (le 93).
Le service des ressources humaines de son côté n’a jamais édité autant de contrats. Réaliser la paie, gérer les arrêts maladie consomment tout leur temps. Il faut aussi se mettre à jour des derniers arrêtés publiés sur la revalorisation des heures supplémentaires, les autorisations spéciales d’absence…
Deux fois plus de travail
Les protocoles et procédures imposées par le contexte national imposent une charge de travail supplémentaire aux équipes. Par exemple, Il a fallu dédoubler le service en salle à manger pour respecter la distanciation sociale. Cela signifie deux fois plus de travail pour les hôtelières : mettre la table et débarrasser deux fois dans un laps de temps restreint. Nous avons été amenés à repenser les fiches de tâches des agents. Depuis, tous les midis « c’est la course, pour nous et pour le résident ». À chaque changement de procédure, les équipes et la cellule de crise doivent redoubler d’inventivité et d’adaptabilité pour mettre en place les recommandations.
Création d'un poste
L’ARS nous incite à recruter en comptant sur des crédits compensatoires futurs. Ainsi, pour renforcer les organisations et répondre aux protocoles nous avons créé un poste d’agent de service hospitalier. Ce dernier est dédié à la désinfection de toutes les poignées de porte, surfaces, rambardes afin de lutter plus efficacement contre le virus.
Arrivée d'un médiateur familial
Un nouveau poste a vu le jour pour soulager les soignants : le médiateur familial. L’organisation des visites des familles jusqu’à présent était gérée par l’agent d’accueil et les soignants. Ces derniers s’occupaient de préparer le résident, de l’amener à l’espace de rencontre avec les familles puis de le ramener et de tout désinfecter. Ces missions se faisaient au détriment d’autres. L’arrivée du médiateur familial a permis de les décharger et d’être beaucoup plus cadrant sur l’organisation. Il s’occupe aussi des skypes et des réponses aux courriers, tout ce qui a trait au lien avec les familles.
Glissement des tâches
Le personnel, sous prétexte de l’organisation de crise, se retrouve à effectuer des tâches qui ne relèvent pas de son périmètre de métier ou pas directement. Préparer les assiettes en cuisine pour les agents de service hospitalier, faire des tests PCR pour des aides-soignantes… Psychomotricien, animateur, lingère, tout le monde est amené à mettre la main à la pâte.
Formation expresse
Par ailleurs, on nous informe que des aides-soignants pourraient bientôt être formés en trois semaines contre dix mois normalement pour répondre à la crise. Alors que les aides-soignantes sont en train d’être revalorisées dans le cadre des accords du Ségur de la santé, cela semble un paradoxe important.
Alors on étudie désormais les petites tâches du quotidien qui pourraient être redistribuées à des bénévoles ou des agents non qualifiés recrutés en partenariat avec Pôle emploi le temps de la crise. Ces renforts permettraient aux agents de se recentrer sur leur mission.
Instabilité de notre organisation
La gestion de crise, par principe, n’a pas vocation à se pérenniser dans le temps. Aujourd’hui, la crise est devenue la normalité et sa gestion, notre quotidien. L’instabilité de notre organisation, remise en question et bouleversée toutes les semaines, complexifie le management des équipes. Il est plus que jamais nécessaire de repenser les organisations en profondeur pour un fonctionnement plus pérenne et maîtrisé. Sans ça, les agents des établissements, tous corps de métier confondus, risquent l’épuisement.
« Carnet de bord » pour raconter votre vécu
Voici revenu le temps du confinement qui colporte avec lui toutes les interrogations professionnelles et tous les périls sanitaires. Les missions du travail social et médico-social sont chaque jour remises sur la table et de plus en plus placées sous le regard du grand public. Si voici quelque temps, il était (peut-être) possible de vivre caché pour vivre heureux, ce n'est plus possible. Il faut exposer les situations, argumenter, se poser des questions. Qui mieux que les professionnels sont en mesure de nous rendre compte de leur vécu. Voilà pourquoi Le Media social a décidé de lancer ce « Carnet de bord » pour laisser s'exprimer quatre pros d'un secteur différent. Pour « ouvrir le bal », nous avons demandé à Eve Guillaume (qui avait raconté son quotidien au printemps dernier) Christel Prado, Dafna Mouchenik et Laura Izzo de tenir ce carnet de bord. Qu'elles en soient ici remerciées. Évidemment, ces chroniques appellent les réactions des autres professionnels. Alors, à vos claviers !
* Les propos tenus par les professionnels dans le cadre de ce « Carnet de bord » n'engagent pas la rédaction du Media social.