Directrice d'un Ehpad public en Seine-Saint-Denis, Eve Guillaume a connu un épisode récent de retour du Covid-19, limité à quelques résidents. Elle raconte la réorganisation de l'établissement, qu'il a fallu engager rapidement, et les peurs qui sont revenues, avant un reflux rapide du virus.
Il y a un mois, je clôturais ma chronique en espérant que notre campagne vaccinale serait notre totem d’immunité pour les semaines à venir. Le lendemain de la publication de l’article, nous apprenions que l’un des résidents vaccinés de l’Ehpad était positif au Covid.
Remise en place des automatismes
Alors en quelques heures, nous avons remis en place tous les automatismes : le résident a été isolé en chambre, la famille prévenue et nous avons organisé un dépistage massif de tous les agents et de tous les résidents. Les visites des familles ont temporairement été suspendues le temps du dépistage.
Trois résidents dépistés
Une semaine après, on recommence. De nouveau, un coton-tige dans le nez pour tous les résidents et l’ensemble du personnel. Et toujours cette angoisse du résultat. Un nouveau résident est testé positif, il s’agit du voisin de chambre du premier. Le lendemain nous apprenons le dépistage d’un troisième résident, toujours sur le même périmètre.
Des visites en toute sécurité
Nous organisons en urgence une réunion avec les familles et notre médecin coordonnateur pour expliquer la situation, avec des annonces que nous savons difficiles : prise des repas en chambre, interruption des animations collectives, mais aussi des visites des familles jusqu’au lundi suivant, afin d'avoir tous les résultats des PCR. Les proches des résidents craignent d'être à nouveau coupés de leur proche. Notre enjeu est de pouvoir rouvrir les visites le plus rapidement possible en toute sécurité pour les résidents et les familles.
Hantés par nos souvenirs
À l’annonce des nouveaux cas, nous sommes tous hantés par nos souvenirs. Chacun a l’impression de revivre le terrible mois de mars 2020. Les soignants nous parlent de « flashs » qui reviennent les hanter.
Un sentiment d’injustice nous assaille aussi. La campagne vaccinale a été menée tambour battant et a été source de beaucoup d’espoir. Presque 80 % du personnel vacciné, 90 % des résidents, comment le virus peut-il encore venir nous visiter ?
Le variant brésilien dans le 93
Le laboratoire de ville a séquencé le prélèvement. Verdict : il ne s’agit ni du variant primitif, ni du variant anglais. Il nous reste alors beaucoup d’hypothèses : sud-africain ? brésilien ? breton ? L’hôpital Bichat, suite à l’hospitalisation de l’un des résidents, a tranché : ce sera le variant brésilien. Il circule à moins de 1 % sur le territoire et il a réussi à pénétrer les portes de l’Ehpad…
Des tests salivaires compliqués
Une semaine plus tard, à J+14 du premier résident positif, nous retestons à nouveau. Les tests salivaires sont arrivés mais ils nous paraissent bien plus compliqués à utiliser que les tests PCR : cracher 2 à 3 ml de salive, la bouche propre, dans un tube.
Des symptômes connus
Mais les nouvelles sont rassurantes : il n’y a pas de nouveau cas positif. Notre capacité à dépister, à la différence de l’année dernière, nous permet d’être plus réactifs et d’isoler rapidement les personnes positives. Nous connaissons mieux les premiers symptômes chez les personnes âgées, ce qui a aussi été un atout pour déceler rapidement le premier résident : perte d’appétit et fatigue.
Réorganisation de la vie
Les familles ont retrouvé le rythme des prises de rendez-vous et visitent leur proche dans le jardin, espacé par une grande table. Notre animateur et la psychomotricienne organisent des activités au pas de la porte : quiz musical, gymnastique, jeux de mémoire… Certains résidents se faufilent discrètement au baby-foot pour ne pas relâcher l’entraînement… Covid ou pas, le tournoi approche !
Barrage au virus
Aujourd’hui, après une dernière campagne de dépistage, nous sommes désormais certains que la propagation du virus a été maîtrisée. La vaccination du personnel et leur respect des gestes barrières ont fait barrage : aucun cas positif. Malheureusement le vaccin semble moins efficace sur certains variants pour des personnes immunodéprimées comme les personnes âgées. C’est en tout cas l’hypothèse de notre médecin coordonnateur qui nous rappelle l’importance de la vaccination des professionnels de santé et de toutes personnes « immunocompétentes ».
Mort au combat
Monsieur P. nous a quittés après plusieurs jours de lutte contre le virus. Avant de partir à l’hôpital, l’ancien militaire nous avait clamé : « Je me battrai contre ce virus ! ». Sa force et son courage n’ont pas suffi. Les autres résidents accueillent la nouvelle avec beaucoup de tristesse. Notre cadre de santé, dont le bureau était voisin de sa chambre, ne trouvera plus de petits mots soigneusement écrits à la main sur des post-it et délicatement collés un peu partout sur sa porte de bureau.
Les résidents ont retrouvé les animations, les visites plus rapprochées de leur proche et les repas en salle à manger avec une chaise vide qui rappelle les quelques semaines que nous venons de passer. Ce n’est pas fini.
Un carnet de bord à quatre voix
En ces temps de crise sanitaire, les missions du travail social et médico-social sont, chaque jour, remises sur la table et de plus en plus placées sous le regard du grand public. Si, voici quelque temps, il était (peut-être) possible de vivre caché pour vivre heureux, ce n'est plus possible. Il faut exposer les situations, argumenter, se poser des questions. Qui mieux que les professionnels sont en mesure de nous rendre compte de leur vécu.
Ce n'est pas tout à fait une première pour Le Media social. Lors du premier confinement, nous avions proposé à Ève Guillaume, directrice d'Ehpad en Seine-Saint-Denis, de tenir un carnet de bord hebdomadaire. Les réactions de nos lecteurs furent très positives puisqu'on permettait à chacun de rentrer dans la « cuisine » d'un Ehpad.
Voilà pourquoi Le Media Social a décidé de prolonger cette expérience en lançant ce carnet de bord hebdomadaire à quatre voix *, les voix de quatre professionnelles de secteurs différents. Pour « ouvrir le bal », nous avons demandé à Ève Guillaume (de nouveau), Christel Prado, Dafna Mouchenik et Laura Izzo de tenir à tour de rôle ce carnet de bord. Qu'elles en soient ici remerciées. Évidemment, ces chroniques appellent le témoignage d'autres professionnels. À vos claviers !
* Les propos tenus par les professionnels dans le cadre de ce Carnet de bord n'engagent pas la rédaction du Media social.
Les précédentes chroniques :
- Les tribulations de Monsieur « J'ai rien à gagner », par Dafna Mouchenik
- La protection de l'enfance et les médias, par Laura Izzo
- Vaccination en Ehpad : l'espoir d'une sortie de crise, par Eve Guillaume
- Pour que naître femme ne soit pas la pire des punitions, par Christel Prado