La crise sanitaire, puis l’affaire Orpea, ont engendré une profonde crise de défiance des proches de résidents à l’égard des Ehpad. En face, les professionnels ont tout intérêt à jouer la carte de la communication et de la transparence. L’enjeu ? Insuffler davantage de démocratie participative et parvenir à transformer les critiques en une alliance constructive.
« Ma mère a-t-elle suffisamment de protections ? » ; « Combien de grammes de protéines lui donnez-vous par jour ? » ; « A-t-elle droit à un goûter ? » ; « J’aimerais savoir ce que vous faites de l’argent de mon père. Expliquez-moi comment vous le dépensez… »
Depuis l’affaire Orpea, les langues se délient, parmi les proches des personnes accueillies en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Des familles qui questionnent
« Les familles posent des questions qu’elles ne posaient pas avant, avec une certaine énergie, voire de l’agressivité. Les directeurs sont parfois surpris lorsque ces questions émanent de familles qu’ils connaissent de longue date », constate Annabelle Vêques, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa).
Une chute de confiance
Indéniablement, l’affaire Orpea et, avant, la crise liée au Covid ont fait chuter la confiance à l’égard des Ehpad, et ce, quel que soit le statut de l’établissement. Sur les réseaux sociaux, les critiques se multiplient : gestion de la pandémie jugée mauvaise, confinements et limitations des visites inexpliqués, atteintes aux libertés et aux droits fondamentaux des personnes âgées…
Les Ehpad seraient-ils « des lieux d’accueil opaques, dans lesquels la communication est faible ou trop maîtrisée », comme le présente l’Observatoire du grand âge (Ogra) créé il y a quelques mois ?
La force des collectifs
Une chose est sûre : les relations entre les directions d’Ehpad et les proches des résidents sont tendues.
Et de nombreux collectifs se sont créés pour mieux faire entendre la voix de ces derniers : le Cercle des proches aidants en Ehpad (CPAE), le collectif Ehpad Familles 42, l’association Old’Up, le Groupe aidants solidaires et proches Ehpad Riviera, le collectif TouchePasMesVieux (lire notre entretien ci-dessous)…
Une parole plus audible…
« Je ne sais pas si la parole des proches des résidents est plus forte ou plus revendicative qu’avant, avance Annabelle Vêques. Mais plusieurs circonstances la rendent plus audible : il y a la crise sanitaire, la force des réseaux sociaux, mais aussi la volonté des pouvoirs publics de renforcer la place des résidents et de leurs familles dans les structures, volonté que nous partageons entièrement à la Fnadepa. »
Les modes d’expression ne se limitent d'ailleurs pas aux réseaux sociaux ni aux collectifs : « D’après les remontées que j’ai de nos adhérents, la grande majorité des proches s’expriment à titre individuel, en allant voir directement les directions d’établissement ou en envoyant des courriers à l’agence régionale de santé (ARS) ou au conseil départemental », poursuit Annabelle Vêques.
...qui pousse les professionnels à réagir
Face à cette parole qui se libère, les professionnels sont forcés de réagir. Bruno Gaboriau, directeur d’un Ehpad public à Essarts-en-Bocage (Vendée), a ainsi organisé une réunion après la sortie du livre « Les Fossoyeurs » de Victor Castanet.
« Les proches étaient en droit de se poser des questions avec la sortie de ce livre, mais aussi parce que nous avions eu en début d’année 2021 un gros cluster sur l’un de nos sites avec quatorze décès sur un mois, ce qui a été très violent », explique le directeur.
Pour la rencontre avec les familles, il a opté pour un espace neutre, une salle prêtée par la mairie, et fait appel à un tiers extérieur à l’établissement, une collègue de la Fnadepa locale, pour animer les échanges.
« Peu de reproches »
« Les familles sont venues très nombreuses, il y avait aussi des professionnels présents qui ont répondu aux questions, raconte-t-il. Au final, il y a eu peu de reproches, quand bien même j’avais donné la possibilité aux familles de nous interpeller par écrit pour qu’elles puissent rester anonymes si elles le souhaitaient et poser toutes les questions, même les plus dérangeantes. »
Revoir la communication
Écouter la parole des proches, expliquer, rassurer sur le bon fonctionnement de l’établissement : des règles basiques que s’efforce d’appliquer une très grande majorité de directeurs. Mais que faire de plus pour redonner confiance ?
« Nous devons impérativement agir sur notre manière de communiquer avec les familles, sur notre manière de collecter l’information, de recueillir leur ressenti et de régler les problématiques avant qu’elles ne génèrent des dysfonctionnements importants ou des plaintes », considère Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements, résidences et services d’aide à domicile privés pour personnes âgées (Synerpa).
La médiation comme recours
Pour elle, la médiation peut constituer une bonne réponse pour renouer le dialogue. C'est l'option prise par le groupe Korian, qui propose depuis la fin de l’année 2020 un service de médiation conventionnelle.
« Nous avons voulu aller plus loin que la médiation de la consommation qui est obligatoire pour les Ehpad depuis 2015, explique Thomas Pretot, directeur de la médiation à Korian France. Les résidents et leurs proches peuvent faire appel au médiateur pour autre chose qu’un différend relatif à une vente ou une prestation de service. Cela peut être par exemple pour régler une mésentente ou pour pacifier des relations. »
Un doublement des saisines
Grâce à un partenariat avec la fédération française des centres de médiation, intervient un médiateur, un tiers externe qui n’est pas salarié du groupe. Il réalise chaque année un rapport rendu public. « En 2021, nous avions eu 33 saisines. Au premier semestre 2022, il y en avait déjà le double… », commente Thomas Pretot.