Confronté à une grave pénurie de personnels, le secteur a été reconnu comme « essentiel » par le gouvernement espagnol. Et de fait, face au coronavirus, les travailleurs sociaux ibériques ont eux aussi fait preuve de dévouement et d’adaptation.
« Essentiels » : ainsi sont qualifiés les services sociaux, dans le Boletín oficial espagnol du 28 mars 2020. Et dans le choc de l’épidémie de Covid-19, cette reconnaissance exprimée par le ministère de la Santé n’a rien d’une médaille honorifique. La réglementation qu’il publie ce jour-là dans le journal officiel doit, avant tout, répondre à une urgence : une « grave situation de manque de personnels », dans les structures publiques et privées qui fournissent ces « services sociaux essentiels ».
Disponibles « à tout moment »
Et voilà pourquoi le texte autorise l’administration centrale et les communautés autonomes, équivalentes à nos régions, à adopter en matière de « services sociaux », au sens large, « toutes les mesures nécessaires à la protection des personnes, des biens et des lieux ». Ainsi, tous leurs personnels désormais, y compris ceux en télétravail, doivent pouvoir se rendre disponibles « à tout moment pour la prestation de tâches en présentiel » - et si besoin dans d’autres sites, et pour d’autres fonctions que les leurs…
Des municipalités à remplacer
« Cela a été très applaudi par la profession », rapporte Emiliana Vicente González, la présidente du Conseil général du travail social (CGTS), la corporation des 40 000 travailleurs sociaux du pays. Car contre le coronavirus, « la plupart d’entre nous voulons être en première ligne, à l’égal des professionnels de santé ». Or dans le confinement, renforcé en Espagne dès la mi-mars, cet engagement professionnel n’a pas toujours été possible, pour une partie des salariés des services sociaux communaux : « Certaines municipalités, en effet, ont sensiblement réduit leurs activités, dès les débuts de la pandémie », poursuit Emiliana Vicente González. « Il était donc très important que l’Etat puisse les maintenir, face aux urgences ! »
Intervenir pour les personnes âgées
La précédente secrétaire d’Etat aux Services sociaux, Ana Isabel Lima Fernández, cite toutefois une autre raison : « L’Etat devait aussi pouvoir intervenir directement dans les établissements pour personnes âgées, en cas de drame. » Et de fait, en Espagne, les victimes s’y sont déclarées nombreuses dès la mi-mars. Lors d’opérations de désinfection, l’armée avait même pu découvrir, dans certaines résidences, « des personnes âgées absolument abandonnées, parfois même mortes dans leurs lits », comme l’avait révélé la ministre de la Défense Margarita Robles, dès le 23 mars.
Besoins basiques
Si l’Etat et les communautés autonomes ont ainsi repris en main une partie des services sociaux, les travailleurs sociaux, ici comme ailleurs, ont souvent dû adapter leurs métiers dans l’urgence. « Le plus compliqué, jusqu’ici, a été de répondre aux besoins les plus basiques, tels que l’alimentation ou l’hygiène, pour des personnes âgées ou handicapées à domicile », rend compte la présidente du CGTS. « Il a aussi fallu maintenir une protection et un accompagnement par téléphone, à travers le télétravail. »
Travailler à distance
Et Ana Isabel Lima Fernández peut elle-même en témoigner : les services sociaux intercommunaux qu’elle dirige, désormais, près de Madrid, ont pu se redéployer tous azimuts, avec des aides financières pour les familles privées de cantines scolaires, des portages de repas à domicile pour les anciens, ou encore un service de soutien psychologique et social par téléphone pour les habitants confinés. « Tout cela va changer les mentalités dans le travail social. Nous ne pensions pas pouvoir travailler ainsi à distance, avec ordinateur ou par téléphone portable… Maintenant, nous sommes prêts », conclut cette ancienne présidente du CGTS. « Toutes ces innovations apportées à nos services sociaux de proximité ouvrent la voie à de nouvelles interventions sociales collectives, à travers les communautés virtuelles. Et c'est un défi pour le travail social. »
Conséquences sociales
Cependant sa successeure, Emiliana Vicente González, n’imagine pas « le télétravail s’imposer durablement dans le travail social, qui devra toujours se faire dans la proximité, en face à face, les yeux dans les yeux ». Au fond, lorsque finira la pandémie, elle espère surtout voir progresser les coordinations avec le secteur de la santé, mais aussi le travail social collectif et communautaire, « qui sera une grande opportunité après cette crise ». Car si le Covid-19, en cette mi-avril, a fait presque autant de victimes en Espagne qu’en France, ses prochaines conséquences économiques et sociales y semblent effrayer davantage.
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