En Ille-et-Vilaine, beaucoup de professionnels de la protection de l'enfance sont cette semaine confinés chez eux, en arrêt. Ceux qui restent sur le terrain s'activent pour trouver des solutions pour que les enfants accompagnés restent en sécurité.
« Urgent : Nous sommes une Mecs en Ille-et-Vilaine composée de cinq internats de protection de l'enfance. Nous sommes activement à la recherche de travailleurs sociaux pour remplacer les salariés qui doivent rester auprès de leurs propres enfants durant la fermeture des écoles. Aucun cas de Covid-19 dans l'établissement ». De son propre chef, Sarah Lecorps, cheffe de service dans la maison d'enfants à caractère social (Mecs) de Carcé, à Bruz (35), a fait circuler cette annonce sur Facebook et Linkedin.
Le week-end dernier, elle a dormi à peine trois heures : « Les 43 enfants que nous accueillons sont confinés et les professionnels habituels de la structure contraints de garder leurs propres enfants chez eux » (*). La Mecs ne compte plus que la moitié de son équipe. En attendant le renfort envoyé par l'association, Sarah Lecorps a donc lancé un appel sur les réseaux.
La cheffe de service a reçu 40 candidatures fiables, d'étudiants en 3e année de travail social, de professionnels en recherche d'emploi ou de collègues dont les structures sont fermées. « Je ne m'attendais pas à un tel élan de solidarité », avoue-t-elle.
La dernière roue du carrosse
Comme les enfants ne vont plus à l'école, la structure a quotidiennement besoin de 40 professionnels. « On espère que nos financeurs seront bienveillants face à ces augmentations d'effectifs incontournables, explique Myriam de Molder, la directrice de la Mecs. Chaque jour, nous devons trouver 20 à 25 personnes ». Une gestion sur le fil, très insécurisante. "L'État n'a pas pensé à la protection de l'enfance. Nos équipes ne bénéficient toujours pas du service de garde d'enfant (*). Nous sommes encore la dernière roue du carrosse", déplore-t-elle.
L'équipe restante a accepté de bousculer ses horaires et ses tâches habituelles. Aucun cadre ne télétravaille, pour soutenir les nouveaux embauchés qui se relaient chaque jour auprès d'enfants qu'ils ne connaissent pas. Une difficulté supplémentaire. « On aurait besoin de professionnels stables auprès des enfants », note Sarah Lecorps.
La structure accueille beaucoup d'adolescents aux parcours de vie complexes. « La situation réactive leur angoisse d'abandon, explique la directrice. Ils ont perdu le lien affectif avec leurs éducateurs référents habituels ou leur famille, quand ils la voyaient. »
Les enfants stressés par le confinement
Les nouveaux contractuels ont chacun leur façon de faire : « Ils se démènent pour trouver des activités pour les jeunes. Mais on voit que certains ados sont en colère de voir leurs repères bouleversés. On leur conseille d'écrire leurs sentiments sur un carnet, pour qu'ils les partagent et qu'on les entende », raconte Myriam de Molder. « Le confinement et le sentiment d'impuissance face à un virus qu'on ne sait pas comment guérir accroissent aussi les troubles anxiogènes de certains », ajoute Sarah Lecorps.
Angoisses nocturnes
C'est surtout la nuit que le stress des jeunes s’extériorise : « Si des éducateurs étaient présents, les nuits seraient plus sereines. » La Mecs aurait aussi besoin d'un.e enseignant.e, de personnel d'entretien et de ménage. L'équipe peine par ailleurs à convaincre certains psychiatres du secteur public de voir les jeunes qui en ont besoin.
« Les angoisses des jeunes sont déjà difficiles à traiter, que faire si la psychiatrie nous lâche ?, se demande Sarah Lecorps. Notre but est que la vie des enfants, pendant le confinement, soit la plus vivable possible. Ce n'est pas aisé, car cette épidémie fait peur aux enfants, mais aussi à certains professionnels. C'est légitime, mais il nous faut donc aussi prendre le temps de rassurer ces derniers. »
Le milieu ouvert réduit au téléphone
Comme tous les travailleurs sociaux de son équipe, Élodie, éducatrice spécialisée en milieu ouvert en Ille-et-Vilaine, est passée au télétravail. Pour le moment, « ça ne va pas si mal » : « O n appelle les familles que l'on visite habituellement. On prend la température, on les guide pour mettre en place l'école à la maison. C'est intéressant, car ça nous pousse à mobiliser vraiment les ressources des parents : on ne peut en effet rien faire à leur place ».
Élodie a conscience de n'en être qu'au début. « Combien de temps va-t-on tenir ? » Déjà, elle se retrouve à gérer à distance le stress de ses interlocuteurs : « On suit des gens souvent très isolés socialement parlant. Sans réseau amical, ni moyen technologique pour communiquer. Certains ne voyaient que nous dans la semaine. C'est inquiétant. »
À domicile, augmentation des risques
Chez certains, le confinement réactive les conflits familiaux : « le risque est qu'à la longue, les parents ne supportent plus d'être 24h/24h avec leur enfant, que les tensions s'aggravent et qu'ils deviennent maltraitants. » Par téléphone, la professionnelle n'a plus accès aux jeunes enfants. Elle ne peut plus non plus bénéficier des alertes des enseignants ou des soignants : « On se pose la question de mettre en place des appels vidéos. Avec les ados, on continue à être en lien par textos. Et si un parent ne nous répond pas ou semble en difficulté, on a le droit de se déplacer en urgence. »
En renfort auprès des collègues
Jérôme est éducateur technique en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep) en Ille-et-Vilaine. Tous les enfants de sa structure sont retournés chez eux ou en famille d'accueil. « Quelques collègues assurent une veille par téléphone. Car on sait qu'être confiné en appartement avec un enfant hyperactif ou avec une lourde pathologie psychiatrique, ça peut vite devenir difficile. Pour la suite, les professionnels songent à intervenir à domicile ».
À côté de l'Itep vide, d'autres services continuent à accueillir des enfants : la pouponnière, le jardin d'enfants, le foyer pour adolescents. Sur place, il ne reste que la moitié des professionnels. Avec d'autres éducateurs techniques, Jérôme a volontairement proposé à sa direction de soutenir l'équipe du foyer : « En journée, on emmène les adolescents jardiner et bricoler dans les ateliers de l'Itep. Ça évite qu'ils ne tournent en rond dans le foyer ou tentent de fuguer. Et ça permet d'alléger l'équipe professionnelle de jour, qui va se concentrer sur les nuits et les week-ends. »
« On s'attend à de nombreux retours »
Pour Jérôme, il est capital d'anticiper : « Notre crainte, c'est qu'on s'attend à de nombreux retours d'enfants. Des familles d'accueils qui tombent malades, des parents qui craquent... Les directions commencent à parler de réquisitions de professionnels. »
Beaucoup d'absents pourraient revenir une fois qu'ils disposeront d'un système de garde pour leurs propres enfants. « Mais on voit que les directions sont dans l'embarras vis-à-vis des professionnels manquants. Ils vont sûrement devoir rappeler tout le monde, vérifier leurs motifs. Signaleront-ils les abus ? ».
Protéger les autres et se protéger soi
L'éducateur constate que la crise révèle l'état des équipes. Dans les structures où le climat était tendu, les professionnels restent chez eux et les directions, paniquées, cherchent des bras. « Chacun navigue à sa façon entre son envie de protéger les autres et de se protéger soi, observe-t-il. Ici, la direction nous propose de travailler une semaine puis de s'arrêter une semaine. À l'échelle collective, c'est logique. On s'assure ainsi que le professionnel reste bien portant. Mais à titre individuel, c'est un choix difficile. On sait qu'en partageant la vie quotidienne d'un groupe d'enfants, en milieu confiné, les gestes "barrière" seront ingérables. Et le risque d'être contaminé beaucoup plus grand. » Le professionnel espère que cette crise sera plutôt une opportunité de récréer des solidarités dans l'urgence.
(*) Depuis le lundi 23 mars, les professionnels des établissements et services publics et associatifs de protection de l’enfance et de PMI font partie des professionnels prioritaires pour bénéficier de la garde d'enfants.