Dans ce département très exposé au Covid-19, les polyvalences ont déjà dû gérer un afflux de demandes d’aides alimentaire et de prestations sociales, et réagir aux violences intrafamiliales... Mais la « deuxième vague sociale » de l’épidémie semble encore à venir.
« Les garçons, un peu moins de bazar ! » Covid-19 oblige, depuis la mi-mars, Eva Dollez découvre, comme bien d’autres assistantes de service social, une nouvelle modalité de l’accompagnement social : le télétravail - avec un téléphone, un ordinateur, et deux enfants à côté. « Pour moi ce n’est toujours pas évident », soupire cette agente du conseil départemental de la Moselle. Certes, elle a pu troquer son ordinateur personnel, vite tombé en panne, contre un poste de son « Centre Moselle solidarités », situé au nord de Metz. Mais pour la relation d’aide, Eva Dollez « préfère tout de même être en contact… Par téléphone, on rate toute la communication non verbale ». Au moins a-t-elle pu bénéficier d’un bref répit pour pouvoir s’adapter. « Les premiers jours, les sollicitations sont devenues moins nombreuses. Les usagers ne savaient même pas si on travaillait. Alors nous avons commencé par les appeler. »
Aller vers les téléphones
Pour les presque 200 assistants sociaux « polyvalents » du département lorrain, plus que jamais, il a fallu « aller vers » les usagers, dès qu’ont été fermés les locaux des Centres Moselle solidarité, dès le 16 mars. Et puisque près de quatre agents sur cinq ont pu alors passer en télétravail, il restait encore à le faire savoir, en allant vers les téléphones. « Les quinze premiers jours, nous avons ainsi pu gérer les inquiétudes des quelque 2 500 familles que nous suivons déjà de manière intensive », résume le directeur général adjoint à la Solidarité, Laurent Zakrzewski. « Nous leur avons assuré que nous restions disponibles, du moins par téléphone, et nous leur avons fait de la pédagogie sur le confinement et sur les gestes barrières. »
Bons d'aide alimentaire
Les assistants sociaux ont aussi pu « vérifier que les personnes étaient bien en capacité de subvenir à leurs besoins primaires », ajoute le directeur. Et rapidement, le département a alors décidé de simplifier l’accès à ses bons d’aide alimentaire. « On en a considérablement réduit les délais d’instruction : la demande peut être maintenant validée en 24 heures », précise Laurent Zakrzewski. La collectivité en a déjà distribué à près de 350 ménages, en coordination avec les centres communaux d’action sociale (CCAS), les CAF ou les associations, qui proposent également leurs propres aides alimentaires.
Intérim à l'arrêt
« Avec l’emploi en intérim à l’arrêt, ou les mises en chômage partiel, certains commencent à voir leurs ressources baisser », témoigne Eva Dollez, qui exerce à Rombas, une ancienne cité sidérurgique à un quart d’heure de Florange. « Les demandes alimentaires se font donc plus importantes, et proviennent parfois de nouvelles personnes. » Et la remarque s'applique au-delà de son territoire de « Metz-Orne », à en croire la vice-présidente du département, Marie-Louise Kuntz (Les Républicains), par ailleurs présidente de l’Union départementale des CCAS : « Les besoins en aide alimentaire augmentent en Moselle, y compris pour des personnes âgées qui se retrouvent en difficulté. »
Accès au RSA
Dans ce contexte, l’accès aux droits occupe aussi fortement les assistants sociaux de la Moselle – « par exemple pour suivre une demande de RSA, ou encore pour débloquer une prestation de la CAF en attente de justificatif », illustre Valérie Falconnet, du centre de Behren-lès-Forbach, près de la frontière allemande. « Mais on est dans la rapidité maintenant », s’étonne cette assistante sociale (voir son témoignage en encadré). Laurent Zakrzewski peut en donner un exemple : « Pour les bénéficiaires du RSA, nous avons décidé de suspendre provisoirement les contrôles et les sanctions, avant même les décisions nationales. » Et depuis la mi-mars, près de 400 nouveaux allocataires du minimum social se sont ajoutés aux 29 000 déjà recensés en Moselle. Ceci étant, l’accès aux droits peut aussi se gripper, face à d'autres institutions gelées par la pandémie, ou encore pour des usagers incapables d'accéder à internet, comme le regrette Eva Dollez.
Face aux séparations
« Mais ce qui devient plus complexe est de faire face aux séparations », reprend Valérie Falconnet. « Je repère des risques de violences intrafamiliales pour une quinzaine de mes situations. Et nous veillons donc sur elles, avec des collègues des autres institutions, en les appelant, les uns après les autres. » En outre, dans ce département durement frappé par le Covid-19, avec déjà 579 morts au 21 avril, il faut soutenir des personnes endeuillées. « C’est éprouvant émotionnellement », reconnaît l’assistante sociale. Et les quelque 90 secrétaires des services sociaux de la Moselle, d’après elle, « sont en première ligne face à des appels téléphoniques de plus en plus durs ».
« Le gros de l'orage »
Pour autant, vu depuis son bassin houiller lorrain, Valérie Falconnet craint que « socialement, le gros de l’orage soit encore à venir »… « Dans le confinement, les situations vont encore se dégrader, aussi bien du point de vue relationnel que budgétaire. Et je m’attends à une deuxième vague de l’épidémie, sociale. »
Pour y faire face, les plus précaires pourront-ils au moins retrouver un abri dans les « Centres Moselle solidarité », à partir du 11 mai ? Le conseil départemental n’a pas encore tranché sur leur date de réouverture. « Le premier principe sera la sécurité des professionnels et des publics », avertit Laurent Zakrzewski. En attendant, le directeur de la Solidarité peut déjà tirer quelques leçons de la crise. « Je retiens que nous avons eu la capacité à nous réorganiser en trois jours face à un tel événement. Et cela m'a confirmé le plein investissement des agents des polyvalences, qui ont poursuivi leur travail, en faisant preuve d’ingéniosité et d’innovation »… À l’autre bout du fil, la vice-présidente Marie-Louise Kuntz acquiesce : « Nous félicitons nos soignants, et c'est bien normal, mais il faut aussi féliciter nos travailleurs sociaux ! »
« Nous sommes dans un échange plus vrai »
« Avec les familles, nous sommes maintenant dans des échanges très humains. Ils peuvent être très bienveillants avec nous, et nous demander des nouvelles de notre confinement, de notre famille… Il n’y a plus aucune agressivité. Au fond, nous sommes comme eux, tous égaux face aux risques… En quatorze ans de métier je n’avais jamais ressenti ça.
Avec les collègues aussi, je constate de gros changements, avec des contacts quotidiens, par téléphone ou par mél… Même la hiérarchie nous envoie des messages quotidiens, pour connaître nos besoins.
En fin de compte, avec les usagers comme avec la hiérarchie, on a rééquilibré les balances. Nous voyons la nécessité d’être ensemble. Nous sommes tous dans un échange plus vrai. Cela manquait dans notre travail.
Je me rends compte aussi qu’avec mes partenaires, nous sommes tous capables de travailler plus rapidement et d’aller à l’essentiel. Nous avons même pu trouver une solution avec Airbnb, pour héberger une mère sortant de maternité. Avant cela aurait été impensable. De la bienveillance, de la proximité avec la hiérarchie, des procédures plus faciles… J’espère que tout cela, on saura le faire perdurer. »
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