Les nouvelles générations de travailleurs sociaux sont-elles moins engagées que les précédentes ? Sans généraliser, une forme de passivité semble dominer dans les jeunes promotions. Notamment en cause : les nouvelles modalités de recrutement via Parcoursup, mais aussi l'impact de discours dominants peu compatibles avec l'essence du travail social.
« Je suis entrée en formation à 19 ans, après une année d’expériences diverses de terrain. Je m’attendais à être la plus jeune, j’étais en fait parmi les plus âgées. J’ai été très déçue de l’absence de politisation. J’entendais juste des phrases comme "j’ai envie d’aider les gens". Honnêtement, au début, j’ai eu envie de me barrer. »
« Mous et défaitistes »
Aujourd’hui bientôt diplômée en tant qu'éducatrice spécialisée, Lila (*) n’est donc pas partie, soulagée d’avoir trouvé dans le contenu des cours, et auprès des formateurs, la richesse de ce qu’elle était venue chercher. Malgré ça, le regard sur ses camarades de promo reste acerbe, teinté de désillusion.
« Leur posture professionnelle est "gentille". Ils sont mous et défaitistes, n’ont aucune envie de changer le système, juste appliquer les règles. Dans les manifs en rapport avec la réalité de nos publics, on est 10, ça me fait péter un plomb. J’ai bien essayé de faire de la pédagogie, mais j’ai laissé tomber quand j’ai vu que certains votaient Le Pen. »
« Je m'attendais à voir plus de gens engagés »
Dans une autre école, Thomas, 25 ans, et Inès, 33 ans, en 3e année d’éducateur spécialisé, sont les organisateurs d’une table ronde sur le thème de l’engagement des travailleurs sociaux. Les deux étudiants observaient une demande de la part de plusieurs de leurs camarades. « Je m’attendais à voir plus de gens engagés, se souvient Inès. Même les contenus des cours sont dépolitisés ici. Le travail social se fait bouffer par le capitalisme. Même entre nous, on entend parler de méritocratie ! »
Pas le droit de parler politique
Mona (*), formatrice en école de travail social et syndiquée, constate que « les idées de gauche, c’est-à-dire désireuses de progrès social », ne sont plus forcément accueillies positivement, tant par certaines hiérarchies d’établissements de formation que par une partie des étudiants. Les formateurs référents, eux, restent des figures d’importance pour la majorité des étudiants. Mais même eux seraient parfois verrouillés.
« On n’a pas le droit de parler politique avec nos étudiants, explique Mona. Étonnant pour un métier avec de telles valeurs, non ? Dans notre école, ou plutôt notre entreprise, parce que c’en est une, on entend "il faut saturer le produit", ça veut dire remplir la formation. Ça en dit long. La qualité pédagogique devient secondaire ».