Loin d’être de simples lieux culturels, les médiathèques possèdent un indéniable rôle social. Et le revendiquent. Au congrès annuel des médiathécaires, en juin, l’inclusivité et la solidarité s’affichaient en Une. Au cœur des débats, les multiples questions que pose l’accueil de publics extrêmement variés.
Dans l’espace informatique d’une médiathèque, un homme remplit sa déclaration d’impôts. En difficulté, il demande de l’aide à la médiathécaire. Elle découvre, malgré elle, de nombreuses informations sur sa vie privée.
Dans d’autres médiathèques, particulièrement au sein des grandes villes, des personnes sans abri viennent s'allonger sur les fauteuils, tenter de récupérer le sommeil qu’elles n’ont pas eu la nuit précédente. Ailleurs encore, une personne non francophone demande de l’aide à l‘accueil pour remplir son dossier de demande d’asile. Et ici, c’est un homme qui s’effondre : il a besoin de parler.
Problématiques sociales
Dans toutes ces situations, les professionnels de la médiathèque s’interrogent : jusqu’où aller ? Est-ce leur rôle, d’accompagner ces personnes ? Que faire lorsque les enjeux sont très importants et qu’ils n’ont pas la formation pour aider à remplir les dossiers administratifs ?
Comment offrir une qualité d’écoute et d’accompagnement suffisante quand on ne peut consacrer un temps long à une personne ? Comment faire pour que la médiathèque reste un lieu accessible à toutes et tous, sans créer de clivage entre les publics très divers qui passent les portes ?
Une certitude s'impose : penser la médiathèque comme un lieu strictement culturel constitue probablement une erreur. Entre ses murs se jouent des problématiques bien familières à celles du secteur social et médico-social.
Un lieu public ouvert
« Nous sommes un lieu ouvert à tous, où il ne faut ni ticket, ni argent, ni carte d’identité pour entrer », décrit Jean-Rémi François, co-responsable de la commission Accessibilités à l’Association des bibliothécaires de France (ABF) et directeur de la médiathèque départementale des Ardennes. « C’est l’un des derniers lieux publics entièrement ouvert. »
Immanquablement, c’est toute la diversité sociale de notre société qui s’y retrouve : « Les personnes errantes vont pouvoir trouver refuge dans un cadre agréable, pour rompre leur isolement total : même si elles ne parlent à personne, il y a du monde autour », poursuit-il. Et pas seulement. Des étudiants précaires, des demandeurs d’asile, des personnes aux RSA poussent au quotidien les portes de ces lieux chaleureux et ouverts.
Une demande sociale
Ce qui vient interroger, de fait, la mission sociale des médiathécaires et ses limites : « On se retrouve donc avec des situations qui dépassent les missions, les compétences et les objectifs de médiation culturelle, d’accès à la culture. »
Des personnes viennent ainsi pour débloquer une situation administrative ou pour rompre leur isolement. « Ce sont des lieux où l’on capte un public qui a une demande sociale », résume Jean-Rémi François.
Pas de protocole
Un constat établi depuis longtemps. Néanmoins, les réponses tardent à venir. La question des situations où l’accompagnement des médiathécaires frise l’accompagnement social reste peu abordée en formation et dans la presse spécialisée. Il n’existe pas de texte ou de protocole indiquant les limites de l’accompagnement numérique, par exemple, lorsqu’il touche au social.
Dans ce contexte, « il y a une part de subjectif dans les réponses que nous allons donner, explique Hélène Brochard, directrice de la médiathèque de Villeneuve d’Ascq, en métropole lilloise. Certains médiathécaires vont accepter de remplir un dossier, d’autres vont s’arrêter à certains moments. Certains collègues ne sont pas à l’aise quand on leur confie un mot de passe ou qu’on leur demande de télécharger un relevé de comptes, par exemple. »
Une formation inadéquate
« La formation reste inadéquate par rapport aux situations de terrain », abonde Jean-Luc Duval, responsable de l’action culturelle, éducative et sociale à la médiathèque de Dunkerque. Il déplore le fait que tout soit encore largement pensé par le prisme de l’offre culturelle.
« À un moment il faut partir des gens qui viennent en bibliothèque. On a par exemple des collègues qui peuvent être désemparés face à des personnes qui viennent et qui n’ont pas les codes : ils utilisent leur téléphone, parlent fort, etc. On a besoin d’avoir ces réflexions-là en formation. »
Faire partenariat
Dans ce contexte, le partenariat apparaît comme une évidence : pouvoir orienter vers les partenaires du social quand on touche ses limites reste la meilleure solution théorique. Face à une demande sociale, « le médiathécaire, s’il est sympathique, il va le faire », confirme Jean-Rémi François. Tout en pointant que « ce n’est pas son rôle. Il risque d’y avoir rapidement la queue et il va finir en burn-out ! »
Quelles solutions selon lui ? « Il faut un dialogue entre tous les opérateurs » : la caisse d’allocations familiale, les centres sociaux, la protection maternelle et infantile, les maisons de services au public et les bibliothèques. « Il faut que chacun fasse un pas. Les médiathécaires ne peuvent pas faire du travail social, ils n’en ont pas la formation. Mais il faut qu’ils soient imbibés de cette culture et de cette réflexion-là pour bien faire leur travail. »
Des ponts : une évidence
Mais l’évidence du partenariat se heurte parfois à la réalité du terrain : « On a du mal à orienter, par manque de connaissance de ce qui existe, par manque de disponibilité des services vers qui orienter aussi, reconnaît Hélène Brochard. Pourtant, le partenariat est indispensable. On a besoin du professionnalisme des travailleurs sociaux. »