Pour Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, des signaux faibles laissent penser que le projet de fusion des diplômes du travail social pourrait ressortir des cartons, afin de répondre en partie à la crise d’attractivité des métiers.
Le projet de fusion des diplômes du travail social en un diplôme unique par niveau avait émergé à l’occasion des États généraux du travail social de 2015. Il avait finalement été abandonné. Il ressurgit dans les débats comme une des solutions à la crise d’attractivité des métiers. Argumentaire : avec un diplôme par niveau, l’offre de formation serait plus lisible et mieux connue par la société.
Un peu d’histoire
En 2015, l’État lançait une grande consultation nationale des travailleurs sociaux baptisée, les États généraux du travail social. Objectif : « Construire un plan d’actions pour réinventer le travail social de demain ».
Au terme de nombreux ateliers sur le terrain et de six assises territoriales, le processus accouchait de cinq rapports thématiques. Le rapport intitulé « métiers et complémentarités », ouvrait la voie à la constitution d’un diplôme unique par niveau, complété par des spécialisations : « Le premier point d’ancrage réside dans le choix qui est fait de proposer un diplôme correspondant à chacun des niveaux de qualification ».
La concertation menée par Brigitte Bourguignon aboutira au maintien des diplômes historiques, mais avec l'instauration d’un tronc commun pour le moins exotique, qui ne présente pas le même nombre d’heures d’une formation à l’autre, ni les mêmes intitulés de cours.
L’enquête du Cese
Une donnée de l’enquête récente du Cese au sujet de l’attractivité des métiers est passée inaperçue. La question suivante a été posée aux formateurs en travail social : « Pensez-vous qu’il serait pertinent d’aller vers une formation unique des métiers du social (niveau bac et niveau licence) avec des spécialités en fin de cursus ? »
41,5 % ont répondu oui et 58,5 % ont répondu non. Seuls 287 formateurs et formatrices ont répondu à la question. Le niveau de représentativité est donc à relativiser, mais on peut tout de même tirer deux enseignements.
Premièrement. Une majorité des répondants est contre, mais cette majorité est très loin d’être écrasante. Deuxièmement. En posant cette question, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) laisse sous-entendre que la structure actuelle des diplômes pourrait être une des causes de la perte d’attractivité et que la fusion pourrait être une des solutions.
Une idée fait son chemin
En février 2022, Marcel Jaeger reprend cette idée dans une interview donnée au Media social : « Le gouvernement pose surtout le problème de la complexité et du défaut de visibilité de nos formations, comme un facteur du manque d’attractivité de nos métiers, notamment auprès des plus jeunes. »
Dans une interview du 27 septembre 2022, le sociologue Daniel Verba indique que l’architecture des formations est un problème : « La dernière réforme de l’appareil de formation n’a pas été assez loin : elle continue à camper sur 14 diplômes, ce qui rend illisibles les métiers ». Quand la journaliste lui demande : « Comment inverser la tendance et redonner du sens à des métiers qui ne font pas rêver, comme vous le soulignez ? ». Il dresse une liste de solutions, dont la fusion des diplômes : « L’idée serait de construire une filière générique et de spécialiser les gens sur le terrain en fonction des secteurs et des projets. »
Dans un article de mars 2022 intitulé « Allons-nous vers un métier unique de travailleur social ? », Didier Dubasque indique lui aussi que l’argument de la meilleure attractivité d’un diplôme unique par niveau pourrait être utilisé par les partisans du projet.
Enfin, dans sa prise de parole du 6 octobre devant le Sénat, Agnès Firmin Le Bodo, la ministre déléguée aux Professions de santé, fait elle aussi de la simplification de l’offre de formation « des métiers de l’accompagnement » un levier pour retrouver l’attractivité du secteur. Les termes qu’elle emploie laissent supposer une possible fusion : « Une réflexion sur les maquettes de formation et sur leur mise en cohérence sera également à mener ».
Des rapports qui rouvrent le débat
Le récent rapport de l’Igas consacré aux certifications des diplômes du travail social fait le constat de l’impossibilité de distinguer le contenu des métiers à la lecture des textes officiels. Il indique que « plusieurs interlocuteurs de la mission ont exprimé à cet égard leur souhait d’un tronc commun des formations, voire d’une unification des diplômes par niveau. »
Le livre vert du Haut conseil du travail social (HCTS) de mars 2022 est plus ambigu. Dans le chapitre intitulé « engager un chantier dans le champ de la formation », la fusion des métiers n’est pas clairement évoquée, mais des termes équivoques suggèrent leur rapprochement. On y parle de « refonte des catégories d’emplois vers une seule filière du travail social ». Au sujet de la logique de tronc commun, il est question « d’élargir cette tendance à l’ensemble des qualifications en travail social ». Il faudra lire attentivement les propositions du livre blanc du HCTS pour mieux cerner la position du HCTS.
Le projet de refonte globale des métiers
En janvier 2022, le président de la République annonçait un projet de refonte globale des métiers pour répondre au problème d’attractivité : « Il s’agira de repenser globalement ces professions ». En février 2022, le Premier ministre prévoyait la mise en place d’un comité des métiers socio-éducatifs avec toutes les parties prenantes dont l’objectif sera « d’organiser dans la durée un pilotage resserré de la bonne mise en œuvre d’un agenda ambitieux pour ces métiers. ».
Le comité des métiers devait être installé en avril 2022. Six mois plus tard, il n'existe toujours pas. Jean Benoît Dujol, nouveau directeur général de la cohésion sociale (DGCS) a confirmé en septembre qu’il sera bien mis en place.
Si la création d’un diplôme unique par niveau est retenue comme solution à la crise d’attractivité, c’est au sein de cette instance que le consensus se construira. Si c’était le cas, la validation finale reviendrait à la Commission professionnelle consultative (CPC). En effet, depuis 2019, ses décisions s’imposent aux ministères, mais avec sa nouvelle composition, l’État n’aurait pas de difficulté pour y être majoritaire.
En conclusion, de nombreux signaux laissent penser que la fusion des diplômes du travail social en un diplôme unique par niveau pourrait bien être à nouveau sur la table des discussions dans le cadre du comité des métiers socio-éducatifs. Si l’État faisait ce choix, on voit mal – dans le contexte actuel – quel corps intermédiaire serait suffisamment influent pour en empêcher la concrétisation comme en 2015.
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