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Handicap : prendre le cap de l’autodétermination

Longs FormatsLaetitia DELHON20 avril 2023
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L’autodétermination entame une percée en France à la faveur du mouvement pour les droits des personnes handicapées. Apparu dans les années 1970, ce concept redéfinit l’accompagnement et bouleverse le fonctionnement des établissements et services. Un incontournable des pratiques dans une dynamique inclusive.

« L’autodé », comme disent les habitués, a le vent en poupe. C’est LE concept du moment dans le champ du handicap, qui abonde les programmes des conférences et des formations. Un réveil français tardif pour cette notion présente dès 1972 dans un des chapitres du livre « Normalisation : le principe de normalisation dans les services humains », de Wolf Wolfensberger, penseur de la valorisation des rôles sociaux.

Vingt ans plus tard, le professeur d’éducation spécialisée américain Michael Lee Wehmeyer définit l’autodétermination comme « l’ensemble des habiletés et des attitudes, chez une personne, lui permettant d’agir directement sur sa vie en effectuant librement des choix non influencés par des agents externes indus ».

Quatre dimensions

Une définition qui fait toujours école aujourd’hui, autour de quatre dimensions : l’autonomie, l’autorégulation (prise de décision et analyse de l’environnement), l’empowerment (la confiance en la capacité de contrôler sa vie) et l’autoréalisation (capacité à connaître ses forces). Ce concept fait aussi l'objet depuis juillet 2022 d’une recommandation de la Haute Autorité de Santé (HAS).

Coralie Sarrazin, docteure en psychoéducation au Québec.  DR

« L’autodétermination est complexe à mettre en place, trop souvent résumée à la possibilité pour la personne de faire ses propres choix, résume Coralie Sarrazin, docteure en psychoéducation au Québec. Or si c’était un escalier, le choix serait seulement la deuxième marche. La première consiste d’abord à se connaître, à faire des expérimentations pour savoir ce que l’on aime et ce que l’on n’aime pas ».

Décider de ses choix

Certaines personnes accompagnées ou hébergées en institutions depuis de longues années n’ont ainsi jamais eu l’occasion d’expérimenter par elles-mêmes, encore moins de décider de leurs choix de vie. 

« Au-delà du choix, il y a la prise de décision : faire un choix c’est "je te propose l’option A et B", prendre une décision c’est "je crée l’option A B ou C et après je vais piocher dedans". On avance en complexité. Puis, tout en haut de l’escalier, il y a l’autoréalisation, quand on atteint un stade d’épanouissement personnel, avec une vie qu’on a construit soi-même, qui correspond à ce que nous sommes et à nos valeurs », détaille Coralie Sarrazin.

Prendre un risque 

Construire nos vies : voilà bien un défi pour chacun, qui représente une montagne pour d’autres, notamment les personnes déficientes intellectuelles ou polyhandicapées… souvent protégées ou « surprotégées », là où l’autodétermination implique une prise de risque. 

« Mais il ne s’agit pas d’une mise en danger : vivre implique des risques dès que l’on sort de chez soi », précise-t-elle, préconisant d’agir en « zone proximale de confort », c’est-à-dire étape par étape.

Expérimenter

Sandrine Bizeul, 41 ans, « autoreprésentante » depuis 2019. DR

Sandrine Bizeul, 41 ans, travailleuse en établissement et service d'aide par le travail (Esat) à l’Adapei 35, est « autoreprésentante » depuis 2019. Porte-parole de l’autodétermination, elle forme des personnes accompagnées, des professionnels et des parents.

« Je pars souvent d’exemples, comme quand j’ai voulu passer mon permis de conduire quand j’étais plus jeune, décrit-elle. J’en ai parlé à mon éducatrice, on est allées faire un essai dans une auto-école, j’étais stressée car je confonds ma droite et ma gauche, c’était très compliqué donc j’ai décidé de ne pas le passer. Ce ne sont pas les éducateurs, ni la curatelle, ni ma famille qui l’ont fait ».

« On a le droit de se tromper »

Depuis 2005, elle vit avec son compagnon dans un appartement. « Quand j’ai voulu habiter avec lui, mon papa avait très peur pour moi, que ça se passe mal. Je n’ai pas lâché, j’ai dit qu’on avait juste besoin d’aide pour le ménage. Il est rassuré maintenant. On a le droit de se tromper, mon père s’est trompé, il a divorcé, j’aurais pu moi aussi me tromper avec mon ami, me séparer et puis voilà ».

Discordances

Barbara Gaignard-Bernat, personne de soutien des auto-représentants à l’Adapei 35. DR

Les réticences des parents, qui craignent de lâcher leurs enfants même adultes dans une société encore peu accueillante pour les personnes handicapées, sont encore nombreuses.

Celles des professionnels aussi. « L’autodétermination crée des points d’achoppement, des discordances dans les équipes, confirme Barbara Gaignard-Bernat, personne de soutien des auto-représentants à l’Adapei 35. Elle implique que les éducateurs sortent de leur positionnement de sachants ».

« Ça dérange peut-être »

Ce qui ne va pas toujours de soi. « Un jour une professionnelle a dit que l’autodétermination avait "foutu la merde" dans l’équipe, se souvient Sandrine Bizeul. C’est une personne qui faisait tout à la place et maintenant il faut qu’elle réapprenne son travail. Avant dans les foyers il y avait le planning : Martial aime aller à la piscine donc il va y aller toutes les semaines, pareil pour Josiane qui aime faire du cheval. Maintenant les personnes veulent choisir leurs activités, donc ça dérange peut-être ».

Sujet de droit