menuMENU
search

Le Media Social - A chaque acteur du social son actualité

Tribune libre18 octobre 2021
Réagir
Réagir
Imprimer
Télécharger

Handicap : stop aux incantations sur l’inclusion !

Ancienne présidente de l'Unapei, Christel Prado s'en prend au dévoiement du terme "inclusion" qui, trop souvent, assigne les personnes handicapées à la nécessité de faire des efforts. La société a-t-elle tout fait pour se mettre à leur hauteur, s'interroge la responsable de la cohésion sociale de la Manche.

Inclusion. Ce mot a colonisé notre espace professionnel depuis plusieurs années. Mais que veut dire au juste le mot inclusion puisque son champ sémantique recouvre exactement celui d’un autre mot de notre vocabulaire que nous maîtrisons mieux, celui d’intégration ? Le mot intégration signifie « incorporer à un système », voire « assimiler à une communauté ».

Les limites des politiques d'intégration

Les différentes politiques d’intégration ont trouvé leurs limites parce qu’elles reposent exclusivement sur les capacités de l’individu à pouvoir faire partie d’un groupe et à être reconnu par lui. Inclusion n’est que l’utilisation d’un mot anglo-saxon que nous avons francisé pour tenter de rénover un concept qui a montré toutes ses limites. Inclusion est l’antonyme d’exclusion. Pour pouvoir inclure, il faut d’abord avoir exclu. C’est-à-dire qu’il faut réparer. Il est vrai qu’il aurait été difficile d’assumer collectivement que l’antonyme d’intégration soit désintégration, c’est-à-dire « fracturation sociale ».

Systémique ou individuel ?

Je persiste à penser que l’intégration renvoie à une responsabilité individuelle de la personne dans l’incapacité qui est la sienne de répondre immédiatement à un modèle de société. Cette intégration répond à un mécanisme d’exclusion que beaucoup considèrent non pas comme systémique, mais exclusivement individuel. Si nous nous accordons sur le fait que l’exclusion est avant tout la résultante d’une somme de facteurs qui viennent péjorer les capacités de l’individu, alors nous pouvons nous engager ensemble à réduire ces facteurs en construisant des politiques inclusives. Construire des politiques inclusives impose aux parties prenantes de se connaître et de collaborer en assurant des complémentarités soutenantes, non pas des objectifs concurrents.

Répondre aux projets de vie

Pour réussir une meilleure intégration des personnes en situation de handicap, pourquoi faudrait-il leur demander de s’adapter ? Pourquoi demander à la personne en fauteuil roulant de courir (ou de rester chez elle), à la personne non-voyante de deviner quelles sont les autres personnes assises autour d’une table lors d’une réunion de travail, à la personne handicapée intellectuelle de suivre un cursus scolaire classique (ou de le suivre dans une structure qualifiée d’adaptée). De quoi manquons-nous pour réussir à répondre aux projets de vie des personnes en situation de handicap qui sont tout aussi singuliers que nos propres projets de vie ?

Normes trop chères

La loi du 11 février 2005 pose le principe de l’accessibilité à tout pour tous. Avons-nous fait de ce principe une dynamique collective ? Quand des normes étaient produites, dès 1975 ou à la suite de la promulgation de la loi du 11 février 2005, elles ont été condamnées parce que trop contraignantes ou trop chères (pour les établissements recevant du public ou les logements par exemple). Quand des normes étaient absentes, c’était un prétexte pour ne pas travailler à la mise en accessibilité (pour l’accès à l’information en ligne pour les personnes en situation de handicap intellectuel, la cotation RGAA (1) ne prend pas en compte ce handicap). L’accessibilité permettrait à nos blocs institutionnels de bouger les lignes pour que le plus grand nombre soit gagnant.

Sorties sèches du système scolaire

Comment explique-t-on que le nombre d’élèves en situation de handicap augmente, constamment et de manière importante, sans que le nombre de jeunes orientés vers des établissements médico-éducatifs ne diminue ? Y aurait-il une augmentation du taux de prévalence de certaines pathologies ? Si notre système éducatif avait réellement évolué, y aurait-il autant de jeunes qui en sortent vers des structures médico-sociales ou sans diplôme ou qualification ?

Formations des enseignants

Hormis les AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap) et le matériel adapté, dans quelle transformation structurelle s’est engagé l’école ? A-t-on adapté les formations auprès des enseignants ? A-t-on révisé les objectifs assignés à ces mêmes enseignants qui accueillent des élèves totalement différents dans leur classe ? Est-on bien sérieux quand on demande à un élève de suivre sa classe d’âge quand il est scolarisé à mi-temps ? Oui, les moyens au service d’une plus grande volonté d’intégration des élèves ont augmenté. La volonté politique d’intégrer le plus d’élèves à besoin éducatifs particuliers est affichée au plus haut sommet de l’État.

Défauts d'articulation

Mais la somme de ces moyens ne fait pas une politique inclusive, c’est-à-dire une politique qui accompagne les capacités de chaque élève au service de son projet, lui-même utile aux objectifs nationaux. Or, la loi concernant la scolarisation des jeunes en situation de handicap date de 2005… Il est sans doute temps de calculer combien coûtent ces défauts d’articulation entre les différents acteurs. Je suis persuadée que nous voulons tous bien faire, mais pour jouer cette mélodie inclusive, il faudrait que la partition soit rigoureusement écrite et que les solos d’improvisation soient moins nombreux.

Diversité des profils

Les entreprises et les administrations ont du mal à recruter des personnes en situation de handicap. L’obligation des 6 % au sein d’un effectif a permis de faire évoluer le paysage professionnel. Mais les réponses sont avant tout de l’aménagement de poste via des financements Fiphfp (Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique) ou Agefiph (Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées). A-t-on beaucoup avancé sur la valorisation des compétences acquises hors du système scolaire ordinaire ? Quelle prise en compte par le management de la diversité au profit des résultats d’une équipe ? Là aussi, nous intégrons, mais nous n’avons pas fait réellement évoluer nos modèles.

Ces mots qui créent des maux

Le mot inclusion résonne pour moi de trois manières : il qualifie un acte professionnel (je fais de l’inclusion) ; il permet de quantifier le nombre de personnes qui accèdent à un droit sans s’interroger sur le nombre de personnes qui restent résolument écartées de ce droit ; Il stigmatise la personne qui est destinataire de l’acte professionnel (un enfant ne sera pas scolarisé, il sera en inclusion).

J’appelle de mes vœux la fin des mots qui créent des maux parce qu’ils stigmatisent.

Revoir nos modes de collaboration

Nous commettons tous, souvent malgré nous, ces erreurs mais nous pouvons nous engager pour que chaque administration, chaque entreprise ou chaque association fassent évoluer leur modèle vers des systèmes moins normatifs au profit de dynamiques plus inclusives. Il s’agit bien aux systèmes établis d’évoluer avec le soutien des compétences des professionnels du social et du médico-social et pas aux personnes en situation de handicap de renaître sous une forme qui nous permettrait de mieux les intégrer. Au-delà de l’impulsion politique nécessaire, ce sont nos modes de collaboration qui doivent être repensés pour que le résultat de nos actions soit supérieur à la somme de nos compétences. Ce ne sont pas les murs qui protègent, mais la qualité de l’accompagnement.

Une ambition pour notre pays

C’est sans doute l’ambition que pourrait porter notre pays pour mieux répondre aux attendus de la convention internationale des droits des personnes en situation de handicap, c’est-à-dire à l’accès des personnes en situation de handicap aux mêmes droits que les autres Français et le droit le plus légitime de choisir sa vie et d’exercer ses devoirs de citoyen.

(1) Référentiel général d'amélioration de l'accessibilité.

Carnet de bord : deuxième saison

À l'automne 2020, nous ouvrions une rubrique hebdomadaire d'expression libre*. L'objectif est de permettre à des professionnels de raconter le quotidien de leur pratique, de faire réfléchir, voire d'ouvrir des débats. Pendant huit mois, Dafna Mouchenik (aide à domicile), Ève Guillaume (Ehpad), Laura Izzo (protection de l'enfance) et Christel Prado (département et handicap) ont ouvert la voie avec des textes qui vous ont souvent captivés. Elles ont accepté – qu'elles en soient remerciées – de poursuivre l'aventure. Évidemment, cette année ou la prochaine, de nouvelles plumes pourraient les rejoindre. Si ça vous dit, contactez-nous.

* Les propos tenus par les professionnels dans le cadre de ce « Carnet de bord » n'engagent pas la rédaction du Media Social.

À lire également :

À l'occasion des deux ans du Media social, nous avons interviewé Christel Prado sur les raisons de sa participation au carnet de bord. Voir vidéo ci-dessous.

ChristelPRADO
ABONNEMENT
Accédez à l'intégralité de nos contenus
  • Articles & brèves
  • Vidéos & infographies
  • Longs formats & dossiers juridiques
  • Reportages & enquêtes
Découvrez nos offres