Depuis le décès d’un jeune de l’aide sociale à l'enfance (ASE) placé à l’hôtel fin 2019, le département des Hauts-de-Seine est sous les feux des projecteurs. Les salariés de l’ASE, en première ligne, témoignent d’un mal-être professionnel profond, en partie lié à une grande réorganisation des services départementaux en 2019-2020. Enquête.
L’éducatrice ? « Elle ne m’appelle pas pour savoir si je vais bien, pour voir dans quel environnement je vis. Elle n’a jamais mis un pied ici ! », assure Talia, 18 ans, hébergée avec d’autres jeunes dans un hôtel à Montrouge.
Cela fait près de deux ans et demi qu’elle est placée par l’aide sociale à l'enfance (ASE) des Hauts-de-Seine dans divers hôtels du département. « Ils nous jettent dans ces hôtels, mais ils ne viennent jamais les visiter. »
Un électrochoc
Ce manque d’accompagnement n’est pas un cas isolé. Diffusé le 27 janvier 2021, un reportage de Pièces à Conviction a fait l’effet d’un électrochoc. Celui-ci revient sur la situation dans le 92, autour du décès d’un jeune agressé mortellement par un autre dans un hôtel à Suresnes, en décembre 2019.
Réagissant au reportage, le secrétaire d’État à la protection de l’Enfance Adrien Taquet promet l’interdiction du placement en hôtel dans le projet de loi sur la protection de l’enfance à venir en 2021.
La partie émergée de l'iceberg
« Ce drame a mis en lumière une grosse problématique. Mais cela fait des années que les salariés et syndicats tirent la sonnette d’alarme sur le placement à l'hôtel de ces jeunes, sans adulte pour les encadrer », retrace Manon*, psychologue employée par le département. Malgré les mobilisations, « personne n’entendait la maltraitance institutionnelle que nous subissons. La protection de l’enfance, c’est la partie émergée de l’iceberg. »
On fait payer aux mineurs isolés leur autonomie présumée
Christophe Daadouch, juriste au Gisti et formateur en travail social
Saisi à la suite du décès du jeune, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) publie un rapport sur l’état du secteur dans le 92, le 11 janvier 2021. Le recours aux hôtels prestataires constitue « le risque le plus lourd ».
Les conditions d’hébergement y sont jugées « médiocres », le suivi éducatif « défaillant ». Au moment de l’enquête, 624 jeunes étaient hébergés dans des hôtels, soit près de 25 % des jeunes placés auprès de l’ASE du 92. 89 % d’entre eux étaient des mineurs non-accompagnés (MNA).
Une réponse « systématique »
Dans un second rapport paru quinze jours après, l’Igas indique qu’en France, au moins 7 000 jeunes de l’ASE étaient hébergés à l’hôtel en 2019, dont 95 % de MNA.