Les Jeux olympiques seront inclusifs quand ils respecteront le principe de conception universelle, souligne dans cette tribune libre*, Jean-Luc Gautherot, ingénieur social. L’action sociale française ne respecte pas non plus, selon lui, le principe de conception universelle et n’est donc pas inclusive.
La France est-elle un pays inclusif ou pas ? Cette question sera probablement débattue à l'occasion des Jeux paralympiques. Pour y répondre, on se réfère habituellement à la notion d’inclusion. Sans définition claire, ce terme donne lieu à toutes les interprétations et à des débats peu fructueux.
La référence au principe de conception universelle est préférable pour savoir si une action est inclusive ou non. En guise d'illustration, voyons l’histoire de la conception universelle des JO pour les femmes et les personnes handicapées, et voyons également quelles leçons en tirer pour l’action sociale française.
Le principe de conception universelle
Pour savoir si une action est inclusive, il faut regarder si elle respecte le principe de conception universelle. L’ONU le définit ainsi : « conception de produits, d'équipements, de programmes et de services qui puissent être utilisés par tous, dans toute la mesure possible, sans nécessiter ni adaptation ni conception spéciale ».
Le respect du principe de conception universelle amène pour un objectif à construire une action unique, sans action séparée et spécifique pour celles et ceux qu’on juge particulier. Unique, mais en mesure de s’adapter aux particularités des personnes.
JO pour les femmes, un long combat
Il aura fallu des décennies pour que les Jeux olympiques respectent le principe de conception universelle pour les femmes. Pierre de Coubertin était farouchement opposé à leur participation. Pour lui, les JO devaient être, je cite : « l’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec […] l’applaudissement féminin pour récompense ».
En 1917, Alice Milliat championne d’aviron crée la Fédération des sociétés sportives de France. Devant le refus persistant de Pierre de Coubertin de faire participer les femmes aux JO, elle organise en 1921 les premiers mondiaux d'athlétisme féminin à Monte-Carlo.
Dans la foulée naît la Fédération sportive féminine internationale (FSFI), qui organise les premiers Jeux olympiques féminins. Dans les années 1930, le principe de la participation des femmes est accepté par le CIO et la FSFI est dissoute.
La charte olympique n’a intégré le principe de la participation systématique des femmes qu’en 2007. La parité des inscrits entre hommes et femmes n’est effective que depuis les JO de Paris de 2024.
En passant d’une compétition, à part, réservée aux femmes du fait de leur particularité, à une instance olympique unique et une compétition unique pour les hommes et les femmes, les JO ont fini par respecter le principe de conception universelle pour les femmes.
Les personnes handicapées aux JO
Tout comme les femmes au siècle dernier, les personnes handicapées ont leur instance olympique à part : le Comité international paralympique (CIP), leurs épreuves à part, leur logo à part (les agitos), leur classification à part des pays aux nombres de médailles obtenus, leurs cérémonies d’ouverture et de fermeture à part. Avant les Jeux de Paris 2024, le CIO interdisait aux para-athlètes d’arborer le tatouage des anneaux olympiques.
Les Jeux olympiques seront inclusifs quand ils respecteront le principe de conception universelle comme c’est aujourd’hui le cas pour les femmes. Il n’y aurait alors plus de Jeux paralympiques, ni de CIP, ni d’agitos, mais une seule cérémonie, un seul événement universel où la médaille d’or d’une personne handicapée vaudra autant que celle d’une personne valide.
Pas de conception universelle dans l’action sociale
Pas besoin de passer par une longue analyse pour comprendre que l’action sociale française ne respecte pas le principe de conception universelle et qu’elle n’est donc pas inclusive. Elle propose, dans des établissements, une vie à part aux personnes âgées, aux enfants en danger, aux personnes handicapées, aux sans-abri.
Pour que l’action sociale française respecte le principe de conception universelle, il faudrait qu’elle s’engage dans un processus de désinstitutionnalisation massif, pour que ses moyens migrent vers les solutions de droit commun, et ainsi avoir des solutions uniques pour tout le monde, mais en mesure de prendre les particularités en considération.
Le long processus de conversion
L’action sociale française est cependant engagée dans un processus de conversion au modèle inclusif, donc au principe de conception universelle. Ce processus est le même que celui qui a finalement abouti à des Jeux olympiques inclusifs pour les femmes, et qui est encore en cours pour les personnes handicapées. Il présente deux grandes caractéristiques.
Des décennies
Il s'étale sur des décennies, trente, quarante ou cinquante ans, voir plus. Cette longueur est due au phénomène des modèles mentaux, donc des croyances. On ne change pas les mentalités dominantes dans une société en quelques mois.
Si les femmes ont fini par avoir la même place que les hommes aux JO, c’est parce qu’elles ont lutté dans la durée pour changer le regard de la société. La solution est générationnelle. Pour que le changement soit abouti, il faut socialiser une nouvelle génération au nouveau modèle mental et attendre qu’elle soit majoritaire aux postes influents de la société.
Des jeux de pouvoir
Pour parvenir à rendre les Jeux olympiques inclusifs pour les femmes, certaines d’entre elles ont dû montrer les crocs face aux représentants du pouvoir en place, comme Pierre de Coubertin.
Les Jeux olympiques deviendront un événement universel incluant les personnes handicapées si des personnalités publiques, des collectifs puissants, montent au créneau pour imposer ce changement. Sans cela les individus qui détiennent le pouvoir au CIO continueront de préférer des jeux séparés pour ne pas risquer de voir leur pouvoir interne remis en question.
Dans l’action sociale, la conversion au principe de conception universelle sera le résultat de la lutte entre les promoteurs d’une société véritablement inclusive, et les défenseurs du modèle historique des établissements qui veulent bien faire un effort pour plus d’accès au milieu ordinaire, mais qui rejettent la désinstitutionnalisation, incontournable pour le respect du principe de conception universelle.
Je mets un billet sur le scénario suivant : à terme, il n’y aura qu’un seul événement olympique intégrant les personnes valides et les personnes handicapées, et l’action sociale française finira par se désinstitutionnaliser pour, elle aussi, respecter le principe de conception universelle. On fait un point en 2050.
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