Petites mains de l’ombre auprès de leur proche malade ou en situation de handicap, les jeunes aidants ne faisaient jusqu'à présent l’objet d’aucune politique publique dédiée. Leur reconnaissance émergente est le fruit d’une forte mobilisation associative. Afin de les soutenir au quotidien et de répondre à leurs besoins, dans le repérage et l’accompagnement, le travail social a toute sa place.
La scène se passe en octobre 2010, lors du colloque officiel de la première journée nationale des aidants. Au bout de deux heures, un jeune homme prend la parole. Évoque sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer à 52 ans, son père souffrant de démence fronto-temporale.
« À 22 ans, j’étais seul à gérer la situation, avec un cursus scolaire mis entre parenthèses, ma vie de couple aussi [...]. J’ai été aidant familial unique et surtout jeune. Je pense qu’on parle souvent des aidants familiaux, mais les jeunes aidants familiaux… Qu’est-ce qui est prévu pour cette catégorie dont je fais partie » ?
La question gêne tellement que personne n’y répond directement.
Dix ans après, les jeunes aidants ont brusquement surgi dans l’arène médiatique et l'agenda politique, sortis de l’ombre du domicile par des professionnels du soin et de l’accompagnement. Auprès d’adultes atteints de handicap ou de pathologie graves, souvent des mères seules, ces derniers voyaient des enfants gérant comme ils pouvaient le quotidien.
Parfois amenés à soigner leur parent, à le veiller la nuit, à surveiller un frère ou une sœur atteint de handicap. Parfois placés en urgence à l’aide sociale à l’enfance (ASE) au moment de la fin de vie du parent. Jamais vraiment entendus, écoutés, entourés.
Un non-sujet en France
Face à ces situations dramatiques, Françoise Ellien, directrice d’un réseau de santé en Essonne, cherche des éléments dans la littérature scientifique française. Elle ne trouve pas un mot, en 2011, sur ces enfants. Mais découvre à l’étranger, en Angleterre notamment, des travaux beaucoup plus étayés.
Tout cela la conduira à fonder l’association Jeunes AiDants Ensemble (Jade) en 2016 en Essonne, après avoir lancé en 2014, avec la réalisatrice Isabelle Brocard des ateliers répit-création audiovisuelle pour ces jeunes.
En Haute-Garonne, Nayla, 11 ans, y a participé cette année avec l’antenne de Jade en Occitanie. C’est la benjamine de la famille : son frère aîné est décédé d’une maladie orpheline, son frère Yassin, 25 ans, en est lui aussi atteint. Pour s’occuper de lui 24h/24, des auxiliaires de vie, ses parents... et Nayla.
« Quand maman a une course à faire, je vais avec Yassin, je rigole avec lui, je passe un bon moment. Je lui montre mes jeux de portables, on joue aux cartes. Le dimanche, sans auxiliaire de vie et quand mon père n’est pas là, j’aide maman à lui faire la toilette, à le tourner, je remplis sa poche d’alimentation ».
Sortir de l’isolement
Avant de participer aux ateliers cinéma, elle ne se pensait pas « jeune aidante ». Elle y a puisé de l’énergie, dans une période tourmentée.
« Je me suis bien amusée à faire ce film. Il y avait plein d’activités. Je me suis fait une meilleure amie. On est restées tout le temps ensemble, elle est venue dormir chez moi après ». Du répit, du lien, de l’entraide, le partage avec d’autres de la même réalité, une prise de recul : l’objectif est atteint.
Je me suis bien amusée à faire ce film. Il y avait plein d’activités
Nayla Ouaden, sur l'atelier cinéma-répit organisé par Jade
Psychologue pendant plusieurs années en milieu hospitalier à Toulouse auprès de patients atteints de la maladie de Charcot et de myopathies, Emmanuelle May avait été alertée par deux situations d’enfants en situation d'extrême vulnérabilité, qui auraient pu aller jusqu'à attenter à la vie de leur mère.
« Nous ne nous étions pas rendu compte de la charge que c’était pour eux malgré les aides qui étaient en place, décrit-elle. Nous nous sommes aperçus que les parents avaient des difficultés à annoncer la maladie, à faire en sorte que les enfants en comprennent l’évolution, et que tout était un peu désorganisé à la maison ».
Des situations contrastées
En se mobilisant avec des collègues pour apporter des réponses, elle découvre une situation contrastée.
« Des enfants très angoissés, en décrochage scolaire, avec des troubles du sommeil, parfois des dépressions sévères, pour lesquels rien n’avait été mis en place. À l’inverse d’autres qui allaient bien et ne présentaient pas de difficultés particulières dans ce rôle-là ».