Nouveau cafouillage dans la gestion gouvernementale de la crise : Olivier Véran a annoncé le 7 mai une prime pour les seuls agents des Ehpad et des établissements du secteur handicap. Quatre jours plus tard, le ministère rectifie le tir en incluant les aides à domicile. Mais sans en préciser les modalités.
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Ça ressemble à un rattrapage, vaguement honteux. Caché dans un long communiqué du 11 mai au matin, détaillant le plan financier pour les Ehpad annoncé le 7 mai, un petit paragraphe affirme : « Cette prime [pour les Ehpad] sera également versée dans les services d’aide et d’accompagnement à domicile, dont l’engagement durant la crise est à souligner. Les échanges se poursuivent avec les départements, dans le respect des compétences de chacun, pour en assurer le financement. »
Ils sont partis au front
Ces phrases relativement sibyllines ont un objectif premier : éteindre l'incendie qui menace de se propager dans un secteur (l'aide à domicile) qui n'a pour habitude de mettre des peaux de banane sous les mocassins de nos gouvernants. Mais là, trop c'est trop. Les services d'aide à domicile ont été les derniers servis en masques, n'ont presque pas bénéficié des tests, etc. Et pourtant, mal équipés, mal payés, mal considérés, ils sont partis au front pour maintenir en vie (biologique et/ou sociale) ces vieux qu'on ne voit plus.
Patate chaude
« L'oubli » ministériel a suscité la colère pendant le pont du 8 mai. Pas question d'un armistice avec un pouvoir qui ne récompense pas ses combattants. Le bagarreur Guillaume Quercy, patron de la fédération de l'aide à domicile UNA, tempête dans un communiqué : « Rien pour les aides à domicile qui ont permis aux plus fragiles, âgés et/ou handicapés, d’être pris en charge et de supporter l’isolement lié au confinement. Rien pour celles et ceux qui, à la demande de l’État, ont prodigué des soins aux patients à domicile atteints du Covid-19 ou suspectés de l’être afin de désengorger les hôpitaux. » Le même Quercy ajoute : « La responsabilité en incombe autant au gouvernement qu’aux conseils départementaux. En se renvoyant la « patate chaude » du financement de la prime, ils continuent de sacrifier des métiers d’utilité publique et tout un secteur économique. »
Engagement du Premier ministre
Directeur d'une autre fédération Adédom (ex-Adessadomicile), Hugues Vidor ne supporte pas cet oubli gouvernemental. Il rappelle le fil des événements : « Voici quelques semaines, nous avons eu une rencontre avec le Premier ministre qui nous a affirmé qu'il y aurait une prime, une reconnaissance des salariés et une loi sur le Grand âge. Le 4 mai, ne voyant rien venir, lors de la réunion hebdomadaire avec la DGCS, nous avons demandé à Madame Lasserre de remonter notre demande d'une prime. » Une démarche totalement vaine puisque le 7 mai, Olivier Véran omet de parler de l'aide à domicile.
« Inéquitable et problématique »
Sur ce, le conseil de la CNSA dirigé par l'influente Marie-Anne Montchamp tape du poing sur la table. Le 8 mai, sa cellule de crise publie un communiqué très courroucé : « La cellule d’urgence du conseil de la CNSA exprime avec force le caractère inéquitable et problématique de cette annonce. » Et elle réaffirme l'objectif, toujours le même : « l’attribution sans délai dans des conditions de justice et d’équité de cette prime fortement symbolique. »
« Arbitrages mal rendus »
Mais au fait, que s'est-il passé pour que le 7, la prime pour les aides à domicile ne soit pas évoquée et pour qu'elle le soit le 11 ? Souvent, pouvoir varie. Certes, mais encore ? Une source bien informée émet l'hypothèse d'un désaccord au sommet du pouvoir. D'un côté, le ministère est convaincu de la nécessité d'un financement public pour la prime aux salariés ; de l'autre côté, un « techno » a jugé bon de conditionner l'octroi de la prime à l'avancée des négociations avec les départements. Commentaire de cette source, elle aussi agacée : « Des arbitrages mal rendus ne doivent pas peser sur les personnels. »
Méfiance vis-à-vis des départements
Les départements ? Depuis le début de la crise, tout le monde sait qu'ils sont incontournables sur ce dossier de l'aide à domicile. L'Assemblée des départements de France (ADF) dirigée par le juppéiste macron-compatible Dominique Bussereau se fait très discrète. Hugues Vidor lui a d'ailleurs demandé un rendez-vous. Pour les fédérations associatives, pas question de faire transiter cette prime par les conseils départementaux. « Nous craignons que les départements qui sont corsetés par l'État en profitent pour réduire nos dotations », souligne le patron d'Adédom. D'autre part, les associations veulent que l'accord salarial d'augmentation des salaires (signé par la CFDT) ne passe pas à la trappe.
Un coût de 20 millions d'euros
La demande des fédérations est claire : les aides à domicile doivent recevoir la même prime que les salariés d'Ehpad (1 000 € ou 1 500 €). Et cette prime doit être financée par l'assurance maladie, sur des fonds d'État. En contact régulier avec le ministère de l'Économie en tant que président de l'Udes, Hugues Vidor ose une comparaison : « Selon nos calculs, le coût de la prime de l'aide à domicile serait d'environ 20 millions d'euros. Le chômage technique représente chaque semaine 2 milliards d'euros. »