Dans cette tribune libre*, l'Association interrégionale des formatrices et formateurs en travail social s'oppose à la proposition de travailleur social unique, jugée "significative de l’ignorance ou du déni de la réalité historique, anthropologique et juridique du social".
L’Interrégionale des formatrices et formateurs [1] en travail social (IRE) saisit l’opportunité de la tribune libre de Jean-Luc Gautherot, publiée par Le Media Social le 19 octobre 2022, pour souligner quelques points de vigilance concernant la discussion sur la fusion des diplômes d’État (DE) du travail social. Cette simplification est parfois présentée comme évidente, mais elle nous paraît surtout simpliste et lourde de conséquences.
La solution paraît toute trouvée au manque d’attractivité des métiers : la simplification des DE dans le but d’aboutir à un nombre moins élevé de diplômes. Deux problèmes nous semblent essentiels.
Le premier soulève la question : à quoi servent tous ces diplômes, et donc ces différents métiers ? Correspondent-ils à des besoins identifiés pour les publics ? Le deuxième problème réside dans la confusion opérée entre les 13 diplômes d’État (selon le rapport de l’Igas sur la certification de ces diplômes, juillet 2022). Ceux-ci correspondent à des fonctions et des métiers différents et à différents niveaux de qualification, du niveau 3 au niveau 7.
Proposition irresponsable
L’argument rhétorique met en évidence le nombre important de 13 diplômes, mais ce chiffre biaise une autre réalité puisqu’il n’existe que trois ou quatre diplômes par niveau de qualification selon, entre autres, des fonctions de direction, de médiation familiale ou d’accompagnement éducatif et social.
Or, ces métiers et fonctions ont une raison d’être selon des logiques sociales et historiques. Les métiers ont été construits pour répondre à des besoins dans des contextes institutionnels et des modalités d’intervention spécifiques, transversaux ou catégoriels et selon la logique des politiques sociales. Ce ne sont donc pas les formations en travail social mais bien les politiques sociales auxquelles répond la formation aux métiers. Nier cette dimension revient à regarder les politiques sociales de manière uniforme.
Cette proposition de travailleur.se social.e unique pose un problème d’anthropologie sociale concernant les contextes d’intervention. En effet, cette proposition paraît irresponsable au regard du droit, à moins de proposer en parallèle un revenu ou salaire universel. Mais le débat est vif. La réponse à d’éventuels non-recours à un tel droit est loin d’être réglée et un tel revenu sans contrepartie impliquerait de reconstruire tout le contrat social avec des structures associatives et institutionnelle pour éviter l’isolement des personnes, prévenir et réguler les conflits sociaux.
À qui et à quoi profiterait de refondre en un seul diplôme des métiers historiques du travail social ? Aux personnes accompagnées ? Aux professionnel.les ? Aux financeurs ? Aux associations gestionnaires ? Le problème est ainsi posé en termes de droit, de pédagogie et d’utilité sociale.
Le pouvoir d’agir, ça s’accompagne !
Or, une réponse aussi simpliste que le travailleur social unique ne fait pas la synthèse des différentes logiques de chacun, donc ne va pas dans le sens de l’intérêt général. On peut comprendre que cette proposition s’inscrive dans une volonté de faire évoluer le travail social en intervention sociale pour former à des référents de parcours, des « facilitateurs ».
Mais est-ce que cela « facilite » l’accompagnement des besoins des personnes ou le travail de directions de ressources humaines qui souhaiteraient faire entrer des réalités multiples et complexes dans des cases simples ? En opposition à cette logique, nous rappelons la nécessité de l’accompagnement social et éducatif pour des publics en situation de vulnérabilité, et de l’accompagnement pédagogique pour les futur.es professionnel.les. L’argument principal peut se résumer autour de cette même finalité du pouvoir d’agir : le pouvoir d’agir, ça s’accompagne !
Faibles rémunérations et manque de reconnaissance
Les étudiant.es que nous côtoyons quotidiennement savent très bien vers quel métier s’orienter. La préparation de leur projet professionnel fait d’ailleurs partie des questions posées lors de la plupart des entretiens d’admission à l’entrée en formation pour vérifier que les candidat.es ont bien repéré où ils.elles mettent le pied.
La perte d’attractivité des métiers nous semble davantage liée aux faibles rémunérations, au manque de reconnaissance, voire au mépris et à la méfiance des discours publics sur l’action sociale et éducative depuis vingt ans pour justifier les réformes, les évaluations et les baisses de financement.
Finalement, cette proposition de travailleur.se social.e unique est significative de l’ignorance ou du déni de la réalité historique, anthropologique et juridique du social. Il faudrait tout de même rester sérieux en évitant de faire des propositions à l’emporte-pièce en se basant sur des impressions et sans avoir préalablement réfléchi aux éventuelles conséquences des décisions. Car pour rendre les métiers attractifs, une autre proposition peut être simple et efficace : « Pay them more ! » [2].
[1] Précisons l’importance de l’intitulé « formatrices et formateurs » pour souligner le souci de l’accompagnement pédagogique des étudiant.es ou apprenant.es.
[2] « Payez-les plus ! », par Joe Biden, s’adressant aux employeurs américains en chuchotant lors d’une conférence de presse en juin 2021, après son élection à la présidence des États-Unis.
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