Des mesures de placement ou de milieu ouvert prononcées par la justice mais non effectuées, des listes d'attentes interminables, de nombreux postes non pourvus... Déjà fragilisée par la pandémie, la protection de l'enfance s'enfonce toujours un peu plus loin dans la crise.
L’inquiétude est davantage murmurée qu’exprimée tout haut, comme pour conjurer le sort : il est surprenant qu’il n’y ait pas eu plus de drames que cela, au vu de l’agonie actuelle de la protection de l’enfance.
Les listes d’attente de prise en charge, pour le milieu ouvert comme pour les placements, s’allongent en effet de manière exponentielle.
Des « castings » pour un lit en foyer
« Il n’y a tellement plus de places que des enfants passent des castings pour un lit en foyer. Des sortes de pré-admissions, dans plusieurs établissements. Et si le profil de l’enfant n’est pas retenu, il reste au sein même de cette famille dont le juge des enfants a décidé de l’éloigner afin de l’en protéger », explique Gisèle Delcambre, juge des enfants au tribunal de Lille et présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF).
Des délais interminables
Au printemps 2022, le Carrefour national de l'action éducative en milieu ouvert (Cnaemo) avait sollicité les associations, pour savoir ce qu’il en était des délais d’attente.
Parmi elles, 69 ont répondu, issues de 41 départements. « 77,8 % de ces assos avaient une liste d’attente. En 2019, c’était 50 % », relate Salvatore Stella, président du Cnaemo. Une vingtaine de ces associations annonçaient un délai de prise en charge oscillant entre 20 et… 50 semaines.
800 mesures en attente
À Nantes, Serge Michel, directeur adjoint du service éducatif d’accompagnement diversifié (SEAD) de l’association départementale d’accompagnement éducatif et social de Loire-Atlantique (Adaes 44), observe un délai de 6 à 8 mois avant la prise en charge des mesures confiées au service.
Habilité pour 1 972 mesures d’aide éducative en milieu ouvert (AEMO) et d’action éducative à domicile (AED), son service compte aujourd’hui environ 800 mesures en attente, dont 423 sont au-delà de son habilitation. Cinq postes de travailleur social à temps plein sont vacants, et ce depuis juillet.
Poupées russes
Alors, à la manière de poupées russes, et pour ne pas laisser sans nouvelles les familles, l’association a créé il y a plusieurs années un pôle de première intervention (PPI), « pour privilégier les interventions urgentes à l’intérieur même des mesures en attente ».
Une équipe de 8 professionnels (à la création du pôle, il n’y en avait qu’un) se partage la tâche et vient poser un premier regard sur la situation, consultant au passage les partenaires à l’origine de l’information préoccupante. Son rôle ? Fluidifier la liste d’attente, prioriser les mesures et être particulièrement vigilante sur certaines.