En 2030, 25 % des actifs seront aidants d’une personne en situation de fragilité. Face à ce constat, les intervenants des premières Assises des aidants organisées le 6 octobre, appellent les pouvoirs publics et les acteurs économiques et sociaux à s'emparer collectivement de cette question.
Comment soutenir les aidants exerçant une activité professionnelle ? La question était au cœur des premières Assises des aidants organisées par différents partenaires (dont Vivre FM, CCAH, Aromates, Klésia) le 6 octobre à Paris, qui rassemblaient parlementaires, représentants associatifs et experts de ces questions.
Un actif sur quatre
Car la catégorie des aidants actifs est loin d’être une population marginale. « Plus de 5 millions de personnes cumulent accompagnement d’une personne fragile et activité professionnelle », rappelle Frédéric Cloteaux, directeur de Vivre FM. Souvent sans le savoir (nombreux sont les aidants qui ne se considèrent pas comme tels) ou en dissimulant ce rôle dans leur milieu professionnel.
Or avec le vieillissement de la population, ce phénomène va se généraliser : en 2030, un actif sur quatre sera aidant d’une personne en situation de maladie, de handicap ou de dépendance, selon une étude Handéo.
« Changer le regard »
Dans ce contexte, il y a donc urgence à « changer le regard sur les aidants », plaide Frédéric Cloteaux, et à inciter le monde du travail à intégrer cette évolution sociétale. Certes, des progrès ont été faits : une stratégie nationale a été lancée en octobre 2019, une loi visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants adoptée en mai 2019 et plus récemment, le congé de proche aidant est enfin devenu réalité grâce à son indemnisation. Mais « il faut aller plus loin », pour la sénatrice (Union centriste) Jocelyne Guidez, car les aidants font face à de nombreux obstacles.
Sans surprise, ils souffrent de fatigue physique, se heurtent à la complexité administrative et manquent de temps pour assumer les multiples tâches qui leur incombent, détaille Fabienne Ernoult, déléguée générale à la RSE pour la Fondation April, s’appuyant sur le 6e baromètre dédié réalisé avec l’Institut BVA. Sans parler des coûts prohibitifs des aides techniques difficilement supportables pour les familles, s’indigne une participante de la salle. En outre, nombreux sont ceux qui doivent réduire leur temps de travail et supporter une baisse de revenus.
Pour un statut unifié
L’une des difficultés tient à l’absence de statut unifié de l’aidant. « Aujourd’hui, il n’y a pas de définition légale de l’aidant et ses droits varient en fonction de la situation de l’aidé », déplore ainsi l’avocate Marion Puissant. Enumérant les trois types de congés existants (congés de solidarité familiale, de présence parentale, de proche aidant), elle défend la création d'un statut unifié de l’aidant.
Une « considération sociétale »
Mais « être aidant n’est pas un statut particulier », alerte l’ancienne présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) Dominique Gillot, pour qui « la situation d’aidant doit être complètement intégrée dans une considération sociétale et abordée comme une responsabilité citoyenne ». Chaque partie prenante de la vie sociale doit ainsi s’emparer de ce sujet, qu’il s’agisse « des services d’accompagnement, de l’entreprise… jusqu’aux fabricants de matériel ». Car « cette question n’appelle pas des réponses sectorisées mais doit être prise comme un sujet de société ».
Attention aux « réponses ponctuelles »
Ainsi pour elle, le congé de proche aidant « n’est pas une réponse institutionnelle suffisante si elle ne s’accompagne pas d’un corpus sociétal de reconnaissance des engagements des aidants ». Sa crainte ? Que le projet de loi Grand âge et autonomie n’apporte que des « réponses immédiates et ponctuelles », sans tenir compte de cette dimension sociétale du sujet.
Services dédiés
Sans attendre les décisions politiques, de nombreux acteurs, en particulier les organismes de retraite et de prévoyance, se sont saisis du sujet. Ainsi, Klésia avec la Fondation Agirc-Arrco généralisera, à l’horizon 2021, son service digital baptisé Ma Boussole pour apporter des réponses aux aidants. De son côté, le groupe de protection sociale Vyv a créé un service dédié à l’accompagnement de ce public dans ses démarches administratifs.
« C'est le sujet RH du moment ! »
Mais cette question doit surtout être investie par les entreprises. Un salarié aidant préoccupé par la personne dont il s’occupe est forcément moins productif et à risque d’absentéisme. « C’est le sujet RH du moment ! », lance Julien Paynot, directeur général d’Handéo, qui a créé un label "Entreprises engagées auprès de ses salariés aidants". Le dispositif vise à inciter les entreprises à mettre en œuvre une offre de services pour les aidants salariés mais aussi à former les managers. Autre enjeu selon lui ? « Faire comprendre aux employeurs qu’un aidant acquiert des compétences par sa fonction d’aidant et qui pourraient être utile à l’entreprise ».
Prévenir
L’autre « bataille culturelle à mener » dans l’entreprise est celle de la prévention, avance de son côté Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la CFDT, afin d'anticiper les situations de crise pour l’aidant-salarié et les risques de désinsertion professionnelle.
Là encore, certaines entreprises ont mis en place des dispositifs spécifiques en permettant le don de RTT entre collègues, la transformation du 13e mois en jour de congé ou l’adaptation des horaires de travail. Mais quid des salariés de PME et des indépendants ? Plus qu’unifier le statut de l’aidant, la CFDT propose « d’universaliser le statut », ce qui permettrait de « créer un compte épargne temps universel afin que le don de congés ne se fasse pas qu’au sein d’une même entreprise ».
Négociation collective
Dans la perspective du projet de loi Grand âge et autonomie et de la cinquième branche de sécurité sociale, la question du coût des indemnités accordées aux aidants est cruciale. Certes, « une réponse uniforme provenant de l’État doit exister », convient Pierre Mayeur, directeur général de l’Ocirp, mais « ne pourra pas apporter de réponses à tous ». Il voit le congé de proche aidant comme « un signal » qui doit engager « les acteurs économiques et sociaux à prendre le relais pour construire des solutions favorables aux aidants ». Et de considérer que « la branche professionnelle est le bon niveau de dialogue social pour porter des dispositifs mutualisés ». La stratégie nationale a d’ailleurs inscrit le soutien aux proches aidants comme un élément de négociation de branche obligatoire (voir communiqué du comité de suivi de la stratégie).
Investir dans le médico-social
Mais pour la CFDT, la question du reste à charge pour les aidants rejoint celle du sous-investissement chronique de l’État dans le secteur social et médico-social. « Les tâches exécutées par les professionnels sont parfois la meilleure garantie de qualité de vie de l’aidé comme de l’aidant », rappelle-t-elle, exigeant, « un financement massif autour du maintien de l’autonomie et une meilleure reconnaissance des professionnels ».
Contrat de confiance
Un propos qui rejoint celui de Dominique Gillot, qui plaide pour que la question du statut de l’aidant ne soit pas considérée comme « le substitut d’une carence de la société » mais qu’elle soit le fruit d’un « contrat de confiance entre professionnels et aidants ».