Longtemps cantonnée à l'addictologie, la réduction des risques et des dommages (RdRD) se fait aujourd'hui une place dans le secteur social, en particulier dans les centres d'hébergement. Cette passerelle entre sanitaire et social permet notamment de limiter les ruptures de parcours pour les publics concernés.
Le 17 mars 2020, date du début du premier confinement lié à la crise de la Covid-19, une question cruciale, parmi de nombreuses autres, se pose : où vont pouvoir se confiner, en sécurité, les personnes les plus vulnérables, notamment celles sans hébergement ?
Un contexte inédit
Les associations et les services de l'État se mobilisent, ces derniers en ouvrant des centres pour les personnes infectées et en réquisitionnant des places d'hôtels afin de compléter les places pérennes et le dispositif hivernal. Du jour au lendemain, des personnes souffrant de problèmes de santé mentale et/ou présentant des problématiques d'addiction sont rassemblées dans de l'hébergement collectif.
Par ailleurs, pour les personnes déjà hébergées, les mesures de confinement viennent exacerber les enjeux liés aux conduites addictives. Pour les publics comme pour les professionnels les accompagnant, il faut s'adapter à un contexte inédit.
Effet accélérateur
Soucieuses d'apporter leur appui, la Fédération Addiction et la Fédération des acteurs de solidarité (FAS) suggèrent alors aux pouvoirs publics un ensemble de mesures préventives qui seront validées par la direction générale de la santé (DGS) et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), avant de faire l'objet d'une note de la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), diffusée le 8 avril 2020.
Cette note de recommandations, qui s'adresse notamment aux travailleurs sociaux, identifie les risques liés au confinement - sevrages brutaux pouvant conduire à des urgences médicales, consommation de produits de remplacement avec risques de surdosage… - et les règles à mettre en place afin de gérer ces situations.
Validation implicite de la RdRD
Il y est notamment indiqué de « ne pas contraindre les consommations mais [de] les sécuriser et [d'] ajuster les accompagnements aux besoins de chaque personne accueillie ». Autrement dit, même si cela n'est pas exprimé ainsi : de s'appuyer sur les principes de la réduction des risques et des dommages (RdRD).
Cette validation implicite de la RdRD représente « une a vancée majeure pour le public concerné, mais aussi pour les professionnels qui ne se retrouvaient plus seuls à décider », se réjouit Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération Addiction.
Une petite révolution
Et une petite révolution, compte tenu de l'interdiction réglementaire de consommation de substances illicites et de l'alcool qui prévaut dans les lieux d'hébergement et autres structures du social et médico-social, mais aussi de l'esprit de la loi - celle du 31 décembre 1970 relative « aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite de substances vénéneuses », qui considère l'usager de drogues comme un individu à la fois malade et délinquant, et confirme un principe de prohibition et d'abstinence.
Réduire les risques
À rebours de cette vision, la RdRD vise à réduire les risques liés à une pratique, en s'appuyant sur l'expérience de la personne. Introduite en France dans les années 80 par des acteurs militants, avec l'objectif de limiter les contaminations au VIH/SIDA, la RdRD a ensuite été reprise par le secteur de l'addictologie, particulièrement dans la prise en charge de la toxicomanie.
Les « salles de shoot »
Elle dispose d'une reconnaissance juridique depuis la loi du 9 août 2004 (relative à la politique de santé publique), étendue en 2016 (par la loi de modernisation de notre système de santé) à toutes les conduites addictives, y compris celle recourant à des produits licites tels que l’alcool ou le tabac.
La RdRD peut se prévaloir, enfin, de différentes validations scientifiques. Pourtant, taxée de soutenir la consommation et non de viser l'abstinence, elle peine toujours à faire l'unanimité. Elle est ainsi encore souvent perçue par le seul prisme des salles de consommation à moindre risque, trop rapidement - et péjorativement - rebaptisées « salles de shoot ».
Un système encore clivé
Résultat : l'approche reste globalement cantonnée au sanitaire et au secteur de l'addictologie, avec pour conséquence des personnes qui peuvent y avoir accès dans un centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) ou un centre de soin, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa), tout en devant se comporter comme abstinents dans leur centre d'hébergement.
Rapprochements
« Entre le secteur de l'addictologie et celui de la grande précarité, nous sommes restés trop longtemps insuffisamment connectés, chacun œuvrant dans son couloir. Avec, pour l'addictologie, la tentation d'aborder la personne seulement par le biais de son addiction alors qu'elle devrait être au centre d'une prise en charge globale et concertée », analyse Nathalie Latour.
Pour parvenir à cette prise en charge globale et ainsi limiter les ruptures de parcours, la Fédération Addiction et la FAS se sont rapprochées, il y a une dizaine d'années, concevant des formations sur la question, éminemment sensible, des représentations.
Revisiter les idées fausses
« L'addiction est un sujet qui bouscule les représentations personnelles et professionnelles, qui nécessite beaucoup d'échanges au sein des équipes et un travail collectif, poursuit la déléguée générale. Il faut notamment revisiter l'idée fausse selon laquelle si on permet la consommation, il y a débordement, l'expérience prouvant que non ».
Ce rapprochement a abouti, par exemple, à la mise en place d'équipes mobiles de Caarud se déplaçant dans des centres d'hébergement. « Nous avons de plus en plus de demandes pour intervenir au-delà du secteur de l'hébergement d'urgence, par exemple auprès des personnes âgées et handicapées », souligne Nathalie Latour.