Plus de 3 000 décès ont déjà été causés par le Covid-19 dans les établissements. Et les conditions sanitaires sont très drastiques autour des corps des défunts. Comment alors faire le deuil, pour les proches et les professionnels ? Constats et conseils.
La mort, parfois, déboule dans un établissement. Elle ne prévient pas. Directrice d'un Ehpad à Caluire, près de Lyon, Daniela Excoffon se souvient de ces trois morts enregistrés en deux jours dans son établissement comptant 92 résidents - et où, depuis le début, dix décès ont été enregistrés. « On a été frappé », dit-elle. La situation a été d'autant plus compliquée à gérer que l'équipe s'est retrouvée en sous-effectif dès le début du confinement.
Voir le défunt
Pour Daniela Excoffon, la question ne s'est même pas posée. Interdire toute présence humaine autour des morts, ce n'était pas imaginable : « Pour les familles, c'est insupportable de ne pas voir le défunt. » Alors à certaines conditions - une présence d'une durée maximale d'une demi-heure, une seule personne à la fois -, il a été possible de dire au revoir à son parent. L'Ehpad ne se limite pas à cette tolérance : pour les personnes en fin de vie, une visite - là aussi soumise à des conditions drastiques - est autorisée malgré le Covid-19.
« À chacun sa façon de se rappeler »
Alors que personne ne connaît la durée du confinement, la directrice d'Ehpad le sait déjà : il faudra du temps pour que les salariés « digèrent » le traumatisme. Dès à présent, les réunions d'analyse des pratiques sont l'occasion de parler des résidents défunts qui vivaient parfois dans l'établissement depuis des années. « Chacun a sa façon de se rappeler », note-t-elle. Elle sait que cela ne sera pas suffisant et que certains auront besoin d'un accompagnement individuel avec un psychologue. Mais pour l'instant, la bataille se poursuit ; une partie des personnels qui avaient été mis en arrêt pour cause de suspicion de contamination sont de retour dans l'établissement.
Pour l'instant, pas de décès
Dans la région lilloise, Séverine Laboue, directrice de l'établissement hospitalier Loos-Haubourdin (250 lits en Ehpad sur deux sites) prend les choses très au sérieux. Pourtant, elle n'est pas dans la situation de son homologue lyonnaise : son établissement a certes connu depuis trois semaines des décès, mais aucun ne semble lié au Covid-19. Pour autant, si cela doit se produire, l'établissement compte appliquer à la lettre les consignes du Haut conseil de la santé publique.
Que prévoit la réglementation ?
Le Haut conseil de la santé publique avait rédigé une note très stricte le 18 février qui interdisait tout « contact » entre un mort et son entourage familial. « Du fait de l’évolution des connaissances, de l’épidémie et du nombre de décès », le HCSP a rédigé une nouvelle note, le 24 mars, qui permet, dans des conditions de sécurité très strictes, une présence de la famille. Il est notamment indiqué que la mise en bière des corps ne doit pas être faite immédiatement et que le corps peut être présenté aux proches - à certaines conditions : pas de toucher et distance d'au moins un mètre. Une cérémonie funéraire peut être organisée « en chambre d’hospitalisation, en chambre mortuaire ou funéraire ».
Climat anxiogène
L'établissement s'est réorganisé en prévision de l'épidémie. Un service, celui des consultations mémoire, a été fermé pour libérer la psychologue - afin de remplacer une autre qui a été mise en repos. Même si l'établissement est relativement préservé, le climat est anxiogène. « Vis-à-vis des résidents qui comprennent bien, nous veillons à limiter le temps d'exposition aux médias d'information en continu, explique la responsable du service de psychologie Lucie Lefebvre. Et nous avons décidé de ne pas annoncer chaque décès l'un après l'autre pour ne pas ajouter au trouble. »
Cérémonie des endeuillés
L'établissement a mis en place depuis des années une cérémonie des endeuillés qui réunit, en temps normal, environ 80 personnes. Celle-ci sera bien entendu proposée dès que ce sera possible. En direction des salariés, des tas de dispositifs sont mis en place : des télé-consultations avec le médecin du travail, une mise à disposition de numéros de discussion avec les psychologues, etc. Mais Séverine Laboue en est persuadée : il faudra mener des études sur les incidences psychologiques, dans cinq ou dix années, de ces enterrements à vitesse grand V.
Risque de contamination
Dans les Vosges, l'Ehpad de Remiremont est dans une situation intermédiaire par rapport aux deux établissements précédents : il est légèrement touché. « Dans notre Ehpad de 59 lits, explique le directeur Luc Livet, nous avons eu un cas de décès d'une personne très fragile. Nous avons deux résidents testés positifs, mais qui, pour l'instant, vont bien. » Là aussi, on n'a pas fait une croix sur l'accompagnement de la fin de vie - en prenant toutes les précautions utiles. « Quand on sait qu'il y a un risque de contamination, on en parle à la famille, en lui laissant la possibilité d'assurer une présence auprès de son proche », explique Luc Livet.
Pas évident d'appeler un psy
Comme ailleurs, le personnel a la possibilité d'appeler des psychologues, mis à disposition pour calmer les angoisses (le département des Vosges est très lourdement touché avec notamment l'établissement de Cornimont qui a enregistré plus d'une vingtaine de décès). « Chez nous, explique Luc Livet, ce n'est pas évident pour tout le monde d'appeler un psychologue qui est très souvent associé à la folie. Voilà pourquoi il sera plus efficace d'organiser des temps de réflexion en groupe ou en individuel. »
Un référent Covid dans chaque Ehpad
Que les établissements soient très peu touchés ou dans l'œil du cyclone, ils sont tous concernés par la difficulté d'observer un temps de recueillement autour des défunts. Le besoin concerne d'abord les familles, mais aussi les personnels et les autres résidents. Psychologue clinicienne gériatre auprès du CHU de Nice, Anne-Julie Vaillant conseille de désigner un référent Covid-19 dans chaque Ehpad. Et juge primordial pour les équipes d'être en relation avec une hot-line gériatrique, comme celle qui existe à Nice, pour que les établissements ne se sentent pas isolés.
Ne pas maîtriser la situation
La situation très exposée des soignants ne doit jamais être négligée. « C'est extrêmement difficile de se séparer brutalement de personnes qu'on connaît depuis longtemps. Il y a un sentiment très négatif de ne pas maîtriser la situation », résume Anne-Julie Vaillant. Il faut donc, tout en se bagarrant contre le Covid-19, redoubler de vigilance par rapport aux signes de dépression chez les professionnels : insomnie, perte de poids ou d'appétit, etc.
Rester en contact avec les familles
La gériatre conseille de prévoir dans les établissements une pièce réservée au personnel, aménagée avec soin, avec des lumières tamisées, des diffuseurs d'huile essentielle, des viennoiseries, etc. Pour les familles, des photos des défunts sont faites au CHU de Nice pour permettre à ceux qui n'ont pas pu se déplacer de garder une image. Il est très important également, selon la psychologue, de rester en contact avec les familles après le décès en les appelant au téléphone ou en leur adressant un courrier quelques semaines plus tard.
Des fiches pour les Ehpad
Avec des étudiants en médecine, des fiches pratiques ont été rédigées à destination des professionnels - gestion des émotions, humeurs négatives, « quel soutien apporter à mon personnel ? », etc. Objectif : anticiper autant que faire se peut les conséquences sur la santé psychique de tous ceux qui combattent ce virus.
Le deuil en temps de coronavirus
Sophie Righini est psychologue en Moselle, employée par les Petits frères des Pauvres. Des équipes de bénévoles qui accompagnent des vieux parfois depuis des années ont été eux aussi affectées par des disparitions souvent brutales.
Comme d'autres, elle constate l'importance vitale des rites de deuil. Les négliger, c'est s'exposer à des retours de bâton parfois violents. Mais comment faire quand les conditions ne sont pas réunies par un vrai hommage au mort ? Des sites peuvent aider à affronter cette situation, comme traverser le deuil ou l'association Empreintes . Pour rendre un hommage à distance aux défunts, il est possible de faire appel aux services de la start-up In memori . Et puis, Sophie Righini rappelle que les urnes funéraires peuvent être conservées un an par les crématoriums. L'occasion de différer les funérailles pour faire mémoire à la personne disparue au temps du coronavirus.
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