Alors que des syndicats d’enseignants ont récemment appelé à manifester contre l’école inclusive, Jean-Louis Leduc et Edwige Chauveau, anciens dirigeants de la Fédération Apajh demandent, dans cette tribune libre*, aux décideurs publics d'avancer de façon déterminée pour l’inclusion des enfants handicapés à l’école.
Lors de la Conférence nationale du handicap le 26 avril 2023, le président de la République annonçait dix engagements forts, au premier rang desquels figurait l’école pour tous.
Depuis lors, et au gré des changements ministériels, cet acte II de l’école inclusive n’a guère été repris dans les intentions et projets annoncés par Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale devenu Premier ministre.
Dans les mesures désormais affichées (choc des savoirs, groupes de niveaux), où est la place des élèves en situation de handicap ?
Reculade
Très fortement engagés depuis des années en faveur d’une scolarisation de tous les élèves à l’école de la République, nous sommes irrités de tout ce que l’on peut lire actuellement comme articles ou messages sur les divers réseaux sociaux, et qui tendent à remettre en cause franchement la place des élèves en situation de handicap à l’école de tous.
Autrefois plus feutrés, les propos sont aujourd’hui aussi bien l’œuvre de syndicalistes, d’enseignants, de parents d’élèves avec toujours la même argumentation : « certains n’ont pas leur place à l’école » ; « certains cas épuisent les enseignants » ; « nous ne sommes pas formés pour les accueillir » ; « cela se fait au détriment des autres élèves » ; « je n’ai pas choisi d’enseigner pour ces élèves-là » ; « les établissements spécialisés sont faits pour eux ».
Empilement de dispositifs
En lisant cela, on ne peut qu’être très déçu. Quelle reculade après toutes les avancées, depuis le milieu des années 80, même si l’on peut admettre que les pouvoirs publics n’apportent pas de réponses à la hauteur des enjeux et des besoins.
De nombreux progrès ont certes été accomplis : la création et le développement des Sessad ; le développement de dispositifs de scolarisation dans l’école, le collège ou le lycée avec les Clis, les UPI puis les Ulis ; l’externalisation de classes implantées en ESMS dans des établissements scolaires ; le développement de l’aide humaine mais de façon « bricolée », etc.
Malheureusement, les gouvernements successifs ont toujours regardé ce sujet, pourtant essentiel pour notre société et notre vivre-ensemble, sous l’angle des chiffres en croissance mais sans jamais vraiment se soucier de la qualité des parcours proposés, et analyser les freins et les causes des difficultés : on a créé des dispositifs ; on a augmenté massivement le nombre des AESH mais en les laissant dans leur situation de précarité et sans formation.
Mouvement à contre-courant
Aujourd’hui il est important de s’élever contre ces vents mauvais qui poussent vers un retour au sein des institutions médico-sociales, totalement à contre-courant des conventions internationales ratifiées par la France et du choix de parcours des familles.
Tout ne peut se résoudre facilement et rapidement mais le gouvernement doit s’engager dans un plan ambitieux, global et pragmatique et non se contenter de mesures isolées.
Prochainement, le décret généralisant la création de dispositifs intégrés pour les structures enfance va être publié. Il est la parfaite illustration d’une mesure isolée portant peu d’ambitions pour la transformation de l’offre d’accompagnement.
Des solutions
Des solutions existent, solutions qui feraient progresser tout le système éducatif. Quelques-unes des mesures qui s’imposent dans ce plan et doivent être mises à la concertation avec détermination :
- une prise de position radicale du gouvernement sur l’externalisation des unités d’enseignement vers les établissements scolaires de droit commun, accompagnée d’un échéancier ;
- une formation des enseignants à remettre à plat afin de remettre au centre de cette formation la pédagogie, la didactique, la personnalisation des parcours. Le linguiste Alain Bentolila s’est d’ailleurs fortement exprimé en ce sens récemment dans un excellent article ;
- un module de formation sérieux, sur la thématique du handicap, pour tous les enseignants, au moins 50 heures avec quelques jours d’immersion pour démystifier les craintes et appréhender les enjeux sociétaux ;
- une reprise massive de la formation d’enseignants spécialisés appelés à devenir des enseignants ressources sur des secteurs scolaires au sein d’Emas ou des référents de suivi de la scolarité ;
- une reconnaissance à part entière des élèves en situation de handicap dans l’établissement scolaire passant par une inscription et une comptabilisation dans les effectifs, y compris pour ceux fréquentant une unité d’enseignement externalisée ;
- une implantation des personnels du secteur médico-social au sein des Emas de façon permanente ; cela nécessiterait des formations au sein des écoles ou des secteurs scolaires pour apprendre à travailler ensemble, à coopérer gagnant/gagnant ;
- une évolution en profondeur de la formation des professionnels éducatifs pour qu’ils soient de vrais acteurs de la coopération et des parcours inclusifs ; il est clair qu’aujourd’hui de nombreux ESMS sont réticents à la scolarisation en milieu de droit commun ;
- un rattachement des AESH au secteur médico-social avec une formation de niveau 5 ; leur intervention serait plus ciblée qu’aujourd’hui dans la dimension aide humaine (actes de la vie quotidienne, attention et médiation).
Certainement, s’agit-il d’un inventaire incomplet mais il permet de montrer le chemin ambitieux à parcourir, seul gage d’une école progressivement capable d’offrir des parcours scolaires réussis.
Mesdames et Messieurs les décideurs, il faut avancer maintenant de façon déterminée et avec des objectifs clairs sinon on peut vraiment craindre de ne pas réussir cette école inclusive inscrite dans la loi du 11 février 2005.
À lire également :
- Ambition école inclusive : une association "plurielle" pour le droit à l'école pour tous
- Réactions à l'appel à manifester contre l’école inclusive : entre indignation et compréhension
- Scolarisation et handicap : "Le médico-social ne doit pas tout attendre des pouvoirs publics"
- Pourquoi tant de crispations autour de la mise en œuvre du plan de transformation des Esat ?
* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.