Dans cette tribune libre*, Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, s'interroge sur l'efficacité des "barnums participatifs" dans le champ social. Au regard du temps et de l’énergie déployés, le sentiment qui domine au sortir de ces grands-messes est souvent : "tout ça… pour ça !".
Depuis le changement de méthode annoncé par le président de la République et la mise en place du conseil national de la refondation (CNR), tous les secteurs du travail social semblent avoir contracté le virus des barnums participatifs : grandes consultations, États généraux, Grenelle, Ségur. Voyons en quoi ce modèle de construction collective de solutions à un problème est à bout de souffle.
La folie des barnums participatifs
CNR logement, CNR petite enfance, CNR bien vieillir, consultation du livre blanc du Haut conseil du travail social (HCTS), États généraux des maltraitances, consultation en préparation de la Conférence nationale du handicap, Ségur de la santé…
La mise en place de barnums participatifs se démultiplie dans les secteurs du travail social. Dernier en date, des États généraux de la protection de l’enfance réclamés par un groupe de députés socialistes, à peine trois ans après la grande consultation de la loi Taquet, dont les actions ne sont même pas encore toutes mises en œuvre.
Cette méthode qui consiste à réunir autour d’une table toutes les parties prenantes d’un problème pour construire des solutions n’est évidemment pas nouvelle, mais si je m’autorise une trivialité, « là, ça fait beaucoup ! ».
Des productions coûteuses
Les barnums participatifs se caractérisent par l’énergie et le temps qu’ils nécessitent. Il faut parfois une année ou plus, mais jamais moins de plusieurs mois, pour consulter ou réunir les centaines de parties prenantes, étudier les contributions adressées au pilote du barnum, pour enfin produire un document final qui contient les solutions au problème public.
Tout ça… pour ça !
La première question qui vient à l’esprit est celle des effets concrets de ces barnums sur les problèmes, au regard du temps et de l’énergie consommés pour les conduire. Quand on identifie les effets d’un barnum dont les actions ont été mise en œuvre, c’est souvent un sentiment de « tout ça… pour ça ! » qui domine.
En 2015, les États généraux du travail social avaient débouché, au terme de nombreuses consultations, sur un document intitulé « plan interministériel en faveur du travail social et du développement social local ». On ne dispose pas de données tangibles sur les effets de ce plan. Cependant, il suffit de regarder l’état de détresse actuel des acteurs du travail social pour raisonnablement mettre en doute l’efficacité de cette grand-messe.
J’aurais pu prendre d’autres exemples de consultations qui ont débouché sur des rapports ayant fini au fond des tiroirs, sans jamais donner lieu à la moindre action concrète, rapports qui parfois n'avaient fait que redire ce qui avait déjà été dit dans des rapports antérieurs.
Une absence d’indicateurs d’évaluation
Les documents produits par les barnums ne proposent jamais d’indicateurs qui permettraient de mesurer leurs effets tangibles sur les problèmes qu'ils prétendent résoudre.
Des dispositifs d’évaluation sont souvent prévus, mais ils se contentent de vérifier que les actions du plan ont bien été concrétisées. Il s’agit de tableaux de suivi où on coche la case “fait” sans interroger les effets.
Les limites de la méthode par consensus
Les barnums participatifs fonctionnent selon une méthode de recherche de consensus. On passe plusieurs mois à demander aux acteurs impliqués dans le problème ce qu’il faudrait faire selon eux, puis on sélectionne les solutions les plus consensuelles.
Le processus prévoit parfois une analyse des causes du problème, mais ce travail ne constitue pas l’essentiel du dispositif ni un préalable à partir duquel des solutions pourraient être logiquement déduites.
Il s'agit d'une démarche politique, et non d'une démarche scientifique. Les organisations parties prenantes s’y affrontent en tentant de faire passer leur vision du monde, leurs valeurs et leurs intérêts.
Les solutions retenues ne sont pas celles qui seraient a priori les plus efficaces au regard de critères scientifiques, mais celles du plus fort, ou celles qui sont des tartes à la crème qui ne fâcheront personne : « mieux former les professionnels », « améliorer les coordinations sur les territoires », « redonner du pouvoir d’agir aux acteurs de terrain ».
« Quand je veux enterrer une affaire, je crée une commission »
Le nombre des déçus des barnums participatifs augmente proportionnellement au nombre des barnums organisés ces derniers mois. La Fondation Abbé Pierre a fait connaître sa déception suite au CNR logement. Idem pour les professionnels de la petite enfance suite au CNR consacrée à ce secteur.
Après avoir participé aux très nombreuses réunions de consultation pour élaborer le plan d’action de la Conférence nationale du handicap (CNH), 51 associations ont finalement boycotté l’événement. Suite à l'annonce du contenu du Pacte des solidarités, les associations de solidarité ont elles aussi exprimé leur déception dans des communiqués.
Face à tant de rancœur des participants, on peut finir par se demander si finalement, les pouvoirs publics n’utilisent pas ces barnums pour gagner du temps, en fins connaisseurs de l’échelle de la participation de Sherry Arnstein, et de l’adage de Clémenceau « Quand je veux enterrer une affaire, je crée une commission ».
En finir avec les barnums ?
Une fois ces constats posés, on est tenté de chercher à corriger le fonctionnement des barnums pour que les solutions qui en ressortent soient véritablement partagées et efficaces. Mais est-ce pertinent ?
Dans une société plus individualiste, où les problèmes changent très vite, où les particularités territoriales sont revendiquées, faut-il encore passer une année à chercher des solutions qui seront les mêmes partout pour tout le monde ?
Peut-être vaudrait-il mieux inventer une façon radicalement nouvelle de construire collectivement des solutions. Trois pistes : une méthode plus scientifique, plus rapide et moins centralisée.
Les trois précédentes chroniques de l'auteur :
* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.