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Article20 janvier 2020
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Les caméras de M6 revisitent l’aide sociale à l’enfance

L’enquête diffusée le 19 janvier sur les « scandaleuses défaillances » de l’ASE était-elle tronquée ? Elle aura au moins eu le mérite de déclencher quelques mesures des départements mis en cause ainsi que du secrétaire d’Etat Adrien Taquet.

« T’as vu M6, toi, hier soir ? » Entre professionnels de la protection de l’enfance, ce lundi 20 janvier au matin, la question a dû déclencher quelques débats, au lendemain de la diffusion par M6 de son documentaire « Mineurs en danger » - une « enquête sur les scandaleuses défaillances de l’aide sociale à l’enfance » (ASE)… Face à un titre aussi tonitruant, à vrai dire, les travailleurs sociaux pouvaient s’émouvoir de l’émission avant même de la regarder.

 « Du pathos et du trash » 

Ainsi sur la page Facebook du Media social, le dénommé Vince Educ s’attendait, dès le 17 janvier, à « du pathos, du trash, un soupçon de violence, un zeste de scandale et toute une opinion remontée contre les "odieux travailleurs sociaux" que nous sommes tous (par assimilation automatique) ». Une autre lectrice, Adeline de Tournemire, supposait déjà que l’enquête omettrait de « décortiquer les politiques sociales mises en place, les restrictions de budget, les maltraitances institutionnelles », sans jamais évoquer les travailleurs sociaux « qui tentent de pallier à tout un système défaillant » par leurs engagements… « Je pense au contraire que cette médiatisation est plus que salutaire », défendait, pourtant, Eric Foussard, selon lequel un déni des réalités « ne permet aucune remise en cause de la part de la profession ».

Décisions politiques

Dimanche soir, chacun aura donc pu se faire son avis sur cette caméra cachée à travers les foyers de l’ASE, rapportant des cas de maltraitances, des détournements de fonds, et même des affaires de viols et de prostitution. Mais à peine diffusé, le documentaire aura au moins entraîné quelques décisions politiques, de la part du secrétaire d’Etat Adrien Taquet. Lui-même avait été « alerté depuis une semaine sur le contenu du reportage », selon un communiqué diffusé dès le 19 janvier au soir. Et puisque l’émission révèle des « dysfonctionnements majeurs dans certains départements », Adrien Taquet dit avoir déjà demandé à leurs six présidents de « faire rapidement toute la lumière sur les faits et les témoignages mentionnés ».

Synthèses sous trois mois

Mais le secrétaire d’Etat en tire également des conclusions pour l’ensemble des départements. Il demande aux préfets de lui transmettre, sous trois mois, une description de la « procédure de signalements » ainsi que du plan de « contrôle des établissements » arrêtés par le président de leur département. Ces synthèses « permettront, le cas échéant, de diligenter des contrôles des structures », prévient celui qui a été nommé en janvier 2019 après un documentaire de France 3 sur les enfants placés « sacrifiés de la République ». Au passage, Adrien Taquet rappelle que la Stratégie de protection de l’enfance prévoit déjà, pour 2020, de « définir des normes d’encadrement et d’accompagnement » dans les structures de l’ASE – et que la Haute autorité de santé revoit elle-même les règles « d’évaluation interne et externe » des établissements.

Les départements « laissés seuls » 

Mais avant l’Etat, l’Assemblée des départements de France (ADF) avait déjà exprimé son émotion, le 17 janvier, au regard des « images insoutenables » qu’elle avait pu visionner, et face à une « mise en cause très violente des personnels éducatifs et sociaux ». Pourtant, argue l’association, les chefs de file de la protection de l’enfance « sont laissés seuls pour prendre en charge les mineurs placés par voie judiciaire », qui peuvent être « en détresse psychique » et « souvent violents ». Ils doivent, en outre, faire face à la « charge croissante des mineurs non accompagnés ». L’ADF saisit donc cette occasion pour demander un « contrat tripartite » avec l’Etat et les associations « en faveur de l’enfance en danger », ainsi qu’un « programme d’Etat pour la pédopsychiatrie », et un « répertoire national des agréments des assistants familiaux ayant fait l’objet d’une suspension définitive ».

De la Seine-Saint-Denis à la Somme

Depuis, certains départements mis en cause par M6 ont pu réagir plus directement. Ainsi la Seine-Saint-Denis apporte-t-elle ses précisions, face aux accusations d’« omerta » et aux autres « contrevérités » essaimées dans l'enquête. Le conseil promet néanmoins « une inspection au sein du foyer visé par le reportage et prendra toutes les mesures qui s’imposent ».

De même, pour la Côte-d’Or, le président François Sauvadet proteste contre les méthodes des journalistes de M6, avant de détailler les réponses de son département aux dysfonctionnements rapportés. « Compte tenu des images et des propos diffusés dans le reportage hier soir », conclut-il, « j'ai déposé plainte auprès du Procureur de la République de Dijon pour faits de prostitution et présence de stupéfiants ». Quant au département de la Somme, il communique de concert avec sa préfecture, pour lister les mesures actuellement mises en œuvre pour l’établissement de Valloires.  

« Surmonter les drames » 

Et qu’en disent les acteurs non-lucratifs de la protection de l’enfance ? Face aux violences rapportées, une « même indignation » est partagée, dans un texte commun, par les Apprentis d’Auteuil, la Cnape, le Gepso, Nexem, l’Uniopss et SOS village d’enfants. Le collectif demande donc les « moyens nécessaires » pour que soit mis en œuvre le Pacte pour l’enfance, mais aussi une application des dernières recommandations du Défenseur des droits. Pourtant, « s’il était impératif, à travers ce reportage, de dénoncer des dysfonctionnements majeurs en matière de protection de l’enfance, il est dommageable qu’un seul exemple de bon fonctionnement d’un établissement ait été évoqué », notent les organisations. « Il importe de rappeler que la protection de l’enfance préserve des vies, connaît de belles réussites, permettant à de nombreux enfants de surmonter les drames qu’ils ont vécus. » Ce qui n’est certes pas tout à fait la ligne éditoriale de Zone interdite.

Des lecteurs du Media social réagissent

Suite à notre proposition, plusieurs lecteurs nous ont adressé par mél leurs réactions, après avoir visionné le documentaire de M6. En voici quelques extraits :

  • Nathalie Cazenave :

« Que dire de cette émission ? Elle a le mérite de mettre en lumière de graves dysfonctionnements mais les traite de manière simpliste. La complexité des situations et du terrain n' apparaît pas. Vous me direz, ce n'est pas leur fond de commerce la complexité. 

C'est avec beaucoup d'émotions et une charge encore plus lourde que je retourne dans l'institution demain. (...)

Je tâcherai de trouver dans les yeux des enfants et des professionnels la lueur qui me donnera envie de lutter, encore. »

  •   Lucien Servin :

« Emission intéressante et malheureusement pas une surprise. Educateur pendant 20 ans et ensuite formateur en travail social, la question que je souhaite poser est relative à la décentralisation qui a confié la protection de l'enfance aux conseils départementaux. Cette mission de protection organisée autour de l'article 375 de code civil devrait s'appliquer de la même manière dans tous les départements, et nous le savons très bien, il y a une application à la carte, ce qui est contraire à la loi et anti-constitutionnel » 

  •  Céline Boussié. Autrice "Les Enfants du silence" et « première lanceuse d'alerte (affaire Moussaron) relaxée en France. »

« Suite au documentaire de Zone Interdite Adrien Taquet a publié un communiqué de presse comme l'avait fait Marie-Arlette Carlotti en 2014 : 

"Je veux également m’assurer que chaque département dispose bien d’un plan annuel de contrôle des foyers"

Quels contrôles ? Il faut arrêter cette hypocrisie et les faire réaliser par un organisme totalement indépendant de l'État ce qui évitera des contrôles de complaisance, des collusions de certains établissements avec les pouvoirs publics, la justice et certains organismes de tutelles. C'est ce que nous réclamons depuis 2014. (...)

À noter que ce ne sont pas que les foyers ASE qui sont à contrôler de manière indépendante. Ce sont l'ensemble des établissements accueillant des mineurs qui doivent l'être... La protection de l'enfance est universelle, sans distinction. »

OlivierBONNIN
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