Samedi dernier, c'était la fête à l'Ehpad Lumières d'automne de Saint-Ouen avec une exposition sur la vie pendant le confinement. Certaines personnes ont visité l’établissement dans la perspective proche de devoir "placer" un parent. "L’institutionnalisation" est une étape plus ou moins bien vécue, comme le raconte la directrice, Eve Guillaume.
Samedi, nous avons ouvert les portes de l’Ehpad pour la visite de notre exposition « Mon Ehpad dans la tempête ». Des voisins et des curieux ont eu le courage de franchir les portes de l’établissement. Du courage, oui, car il n’est pas courant de se dire : « Et si j’allais faire un tour dans la maison de retraite de la ville ? »
Côtoyer la mort
Nos établissements sont bien souvent, dans l’image collective, quatre murs que nous souhaitons ne jamais avoir à franchir ou le plus tard possible. L’architecture même de nos structures n’est pas pensée pour être accessible et accueillante pour le riverain : des grilles, des portes closes avec des interphones hypersécurisés, des murs très hauts… Et pénétrer dans un Ehpad, c’est côtoyer la mort, rencontrer des personnes qui inévitablement sont dans la dernière phase de leur vie. Elles ont des handicaps, des troubles cognitifs, elles nous renvoient nos propres peurs : la vieillesse et la mort.
La honte de « placer » son parent
Lors de cette journée, certaines personnes ont visité l’établissement dans la perspective proche de devoir « placer » papa ou maman. Un terme si négatif, comme si l’on plaçait un pion sur un échiquier. Une phrase dite en chuchotant et avec une certaine hésitation, en baissant le regard. Il transparaît comme un sentiment d’échec : « Je n’ai pas réussi à le garder chez lui ». Il est alors de notre rôle d’accompagner l’aidant qui prend cette décision pour faire diminuer ce sentiment de culpabilité.
Recréer du lien social
Les services à domicile font un travail formidable, mais parfois cela ne suffit plus. La domotique est source de beaucoup d’espoir, mais n’est pas toujours aboutie ou ne répond que partiellement aux problèmes. Les personnes âgées se sentent aussi prisonnières de leur domicile lorsque leurs déplacements extérieurs sont limités. Alors, l’Ehpad offre la possibilité d’être entouré, de rencontrer des personnes, de recréer du lien social. « L’institutionnalisation » est une étape qui est plus ou moins bien vécue pour la personne elle-même et pour les proches.
Le choix des enfants
Parfois, c’est le choix de la personne elle-même « pour ne pas faire reposer sa dépendance sur ses enfants ». D’autres fois, ce sont les familles, les proches qui ont convaincu la personne ou qui ont dû prendre la décision. La période d’adaptation à la structure est toujours plus compliquée dans ces situations où le nouveau résident peut avoir l’espoir d’un retour à domicile ou trouve difficilement ses repères.
L’arrivée en Ehpad, c’est aussi combattre un mille-feuille administratif : demande d’APA, d’aide sociale, documents administratifs. Il faut parvenir à comprendre le financement et le fonctionnement de l’établissement.
Une transition à faire
Accompagner son proche en établissement, c’est le confier à d’autres mains pour les soins quotidiens et donc faire entrer dans l’intimité de la personne un tiers. Fréquemment, les aidants nous disent avoir le sentiment de perdre la maîtrise. Il y a une transition à faire, apprendre à faire confiance aux professionnels de l’établissement même si on ne met pas toujours un nom sur un visage, si l’on ne parvient pas à connaître tous les agents de l’établissement.
Confiance fragile
Et cette confiance est toujours fragile. Une chute non communiquée à la famille, un rendez-vous oublié, un objet égaré ou cassé, des appareils auditifs perdus viennent rapidement remettre en question l’institution. Cela demande un engagement de chaque agent et une communication efficace de tous les instants mais qui malgré tous les efforts, peut s’enrailler.
Retrouver un cocon
Certains résidents se libèrent en arrivant en Ehpad voire retrouvent un cocon quand la famille est absente ou n’existe pas. Un hébergement sécurisant où l’angoisse des courses alimentaires et de la confection des repas disparaît. Parfois au bout d’un mois ou quelques semaines, les personnes âgées retrouvent un peu de mobilité et de confiance entre les mains des kinésithérapeutes et autres professionnels de rééducation. Ils dansent et s’épanouissent en animation. À cela viennent s’imbriquer les règles du collectif qui peuvent parfois être un tantinet contraignantes comme l’heure des repas.
Baby-foot et fête de la musique
Les Ehpad sont des structures qui gagnent à être connues, à être visitées. Nos anciens transmettent leur savoir, leur histoire et nous apprenons d’eux chaque jour. Certes, il y a les soins et la dépendance, mais il y a aussi des échanges et des confidences au repas, des rires autour d’une partie de baby-foot, des pas de danse à la Fête de la musique…
Être du côté de la vie
Travailler en Ehpad, c’est être du côté de la vie. Notre ambition, notre motivation, c’est d’accompagnement dans la dignité de chaque personne et d’offrir des moments de joie malgré le handicap physique ou cognitif. Nous faisons en sorte que la vie triomphe jusqu’au dernier instant en considérant que chaque résident est un individu à part entière avec son histoire, ses croyances, ses plaisirs et habitudes.
Un carnet de bord à quatre voix
En ces temps de crise sanitaire, les missions du travail social et médico-social sont, chaque jour, remises sur la table et de plus en plus placées sous le regard du grand public. Si, voici quelque temps, il était (peut-être) possible de vivre caché pour vivre heureux, ce n'est plus possible. Il faut exposer les situations, argumenter, se poser des questions. Qui mieux que les professionnels sont en mesure de nous rendre compte de leur vécu.
Ce n'est pas tout à fait une première pour Le Media Social. Lors du premier confinement, nous avions proposé à Ève Guillaume, directrice d'Ehpad en Seine-Saint-Denis, de tenir un carnet de bord hebdomadaire. Les réactions de nos lecteurs furent très positives puisqu'on permettait à chacun de rentrer dans la « cuisine » d'un Ehpad.
Voilà pourquoi Le Media Social a décidé de prolonger cette expérience en lançant ce carnet de bord hebdomadaire à quatre voix *, les voix de quatre professionnelles de secteurs différents. Pour « ouvrir le bal », nous avons demandé à Ève Guillaume (de nouveau), Christel Prado, Dafna Mouchenik et Laura Izzo de tenir à tour de rôle ce carnet de bord. Qu'elles en soient ici remerciées. Évidemment, ces chroniques appellent le témoignage d'autres professionnels. À vos claviers !
* Les propos tenus dans le cadre du Carnet de bord n'engagent pas la rédaction du Media social.
Les derniers carnets de bord :
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