Ces dernières années ont vu les anciens enfants placés politiser leur parole et mettre en avant leurs compétences dans le domaine de la protection de l’enfance, dans le but d’améliorer un système dysfonctionnel. Si la prise de conscience est lente et le chemin très long, leur volonté et leur expertise font déjà bouger les lignes.
Il aura sans doute fallu une présence médiatique forte pour qu’enfin les yeux, et les oreilles, s’ouvrent. Dans une société où une voix portée par les médias peut bousculer des institutions, de récents documentaires, tels ceux de Sylvain Louvet pour l'émission Pièces à convictions (1), ont contribué à mettre au cœur du débat la prise en charge des enfants et adolescents confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE).
Ainsi fut d'ailleurs nommé, en 2019, un secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, dont les actes demeurent, pour les principaux intéressés que sont les anciens et actuels enfants placés, trop minces face à la complexité des enjeux et besoins tant moraux que structurels.
Un pavé dans la mare
Il est une réalité à saluer, toutefois : la libération de la parole est bien là. « Avant on ne prenait pas la parole, on ne nous la donnait pas non plus, on était invisible », rappelle Lyes Louffok, ancien enfant placé devenu éducateur spécialisé et « porte-parole » médiatique de cette lutte pour une meilleure prise en compte des enfants placés.
Le jeune homme, membre du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) a voulu raconter son histoire dans un livre (2), qu’à l’époque « les maisons d’éditions ne voulaient pas », et très tôt cherché des témoignages de ses contemporains.
« Il a fallu jeter un pavé dans la mare », se souvient-il, recueillir les paroles dans des centaines de lettres et de messages, ouvrir les portes de « jeunes médias ».
Le « fouteur de merde »
« Au début c’était chacun dans son coin, il a fallu se rencontrer. D’autant que les professionnels du travail social se sentaient attaqués, mis en cause. » Lyes Louffok accepte ce rôle « de fouteur de merde, ce rôle médiatique un peu ingrat, mais comme ça le sujet a pris de l’ampleur, il y a eu un effet boule de neige ».
En effet : son histoire vient même de faire l'objet d'une adaptation télévisée, diffusée il y a quelques jours à une heure de grande écoute, sur France 2, et suivie d'un débat sur le sort fait aux enfants placés.
Une forme d'expertise
Pour Lyes Louffok, l’important est de briser le plafond de verre, de se faire entendre, médiatiquement et politiquement. Et d’arriver à faire reconnaître une forme d’expertise sur le sujet. « On me disait alors "c’est pas parce que tu as vécu le placement que tu es expert". On nous niait le caractère expérientiel, il a fallu se réapproprier nos histoires. »
Le réseau Repairs !, créé dès 2014 avec d’anciens enfants placés - souvent dans la lignée des Adepape existantes (3) - est, outre un lieu d'entraide entre pairs, une caisse de résonance. Les témoignages de dysfonctionnement et maltraitances se multiplient. En 2016, le parlement se saisit du sujet avec la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.
« Pour la première fois, on entendait nos voix », note Lyes Louffok. Plus fédérateur que la question des violences institutionnelles, clivantes dans le milieu, le débat autour du maintien à tout prix des liens du sang commence alors à émerger.
Préparer la sortie
Participation aux observatoires départementaux de la protection de l’enfance, mais aussi aux instances locales, départementales et nationales... : Repairs ! milite pour « placer » la voix des enfants placés partout là où elle peut compter. Et défendre leur avenir, via l’accès de tous aux contrats jeune majeur (CJM) notamment, cheval de bataille du réseau.
Car à Repairs !, où la pair-aidance est le maître mot, un enjeu majeur est la « sortie » de la protection de l’enfance. « Ces jeunes sont confrontés toute leur vie à des structures où ils ont été épaulés, puis ils sont mis dehors », s’agace Alissa Denissova, coordinatrice de Repairs ! 44 et elle-même placée dans son adolescence. Pour qui il est bon que les anciens puissent se « déplacer dans les maisons d'enfants à caractère social (Mecs) et les familles d’accueil rencontrer les jeunes dès leurs 16 ans : il est plus facile pour eux d’écouter la parole d’un pair ».
Vers la société civile
Mais l’inquiétude pour ces prises en charge suit-elle dans le grand public ? « Grâce et Lyes et à Repairs !, la parole des jeunes est entendue mais la société civile peine encore à s’emparer de cette problématique. Quel est le rôle des politiques là-dedans ? Et des citoyens ? Tout le monde se mobilise en période électorale, souligne Jean-Michel Beau, président de Repairs ! 44. Mais attention à l’oubli ! ».