Les organisations syndicales et les collectifs hospitaliers ont organisé plus de 200 rassemblements à travers toute la France pour faire valoir de profonds changements salariaux. A Paris, les travailleurs sociaux et médico-sociaux n'étaient pas absents. Reportage.
Vu du bâtiment des Invalides, à un bon kilomètre du ministère de la Santé - d'où sont partis les cortèges -, le spectacle est impressionnant. Sur l'esplanade, les manifestants très nombreux s'ébrouent dans la bonne humeur. Combien sont-ils ? Sans doute plusieurs dizaines de milliers. Alors que se déroule le Ségur de la santé, dans un manque de transparence selon les organisations syndicales, les gros bataillons des hôpitaux parisiens ont mobilisé en force. Les jeunes professionnels sont là massivement. Sur la tenue de l'une d'entre elles, cette annonce : « Je n'ai pas eu le Covid, mais vous m'avez transmis la rage ».
Foule multicolore et Black Blocs
Le spectacle de cette foule multicolore, mais dominée par le blanc, est cependant entaché par des fumées très noires, au loin tout près de la Seine ou de la rue de l'Université. Comme trop souvent, des centaines de Black Blocs, épaulés par quelques Gilets jaunes, ont pris place dans le cortège, pas vraiment pour défendre les revendications des soignants, mais plus sûrement pour s'adonner à leur plaisir secret : jouer à cache-cache avec les forces de l'ordre, mobilisées en masse. Qu'importe, pour eux, s'ils volent la manifestation à ceux qui l'ont conçue et animée...
Fin de la discrétion
Mais revenons à l'événement social de ce 16 juin, le premier depuis la fin du confinement. Dans les cortèges où la CGT était très présente - et dans une moindre mesure FO et Sud -, pas facile d'identifier des professionnels du travail social et médico-social. Mais ils sont tout de même là, bien décidés à faire entendre leur voix dans cette période historique, où les soignants, tous les soignants sont sortis de la discrétion et d'une forme de réserve. Dans le « monde d'après », le temps est vraiment à la revendication.
Plus d'accompagnement
De Saint-Ouen (93), tout proche de Paris, elles sont venues à quatre ou cinq pour se faire entendre. Elles travaillent toutes dans l'Ehpad Couleurs d'automne dont nous avons publié le carnet de bord de la directrice Eve Guillaume. La déléguée du personnel Rose (voir la vidéo) a peur que les personnels « passent aux oubliettes ». Alexandra, sa collègue psychologue à mi-temps à l'Ehpad, explique que l'établissement public accueille des publics défavorisés, qui nécessitent plus d'accompagnement. Une psychologue à temps plein ne serait pas du luxe, d'autant que les soignants « épuisés » ne peuvent « aller 15 jours aux Bahamas pour se requinquer. » Alexandra insiste sur la vigilance à avoir car les syndromes post-traumatiques peuvent parfois s'installer des mois plus tard.
Sans masque de protection
Travaillant pour un SAVS dans les Yvelines, Léa a d'abord exercé dans la protection de l'enfance. Elle raconte la mobilisation de tout son service pour continuer à accompagner les personnes handicapées, souvent isolées, par exemple pour leurs rendez-vous médicaux. Et tout ça s'est fait « avec un manque de moyens ». Elle apprécie que les professionnels « se bougent ».
« La prime est un moyen de diviser les gens »
Responsable du syndicat des assistantes sociales de la fonction publique (SNUASFP FSU), Nathalie Andrieux-Hennequin peste contre son administration. Par exemple, pour le versement de la prime de 330 euros, celle-ci veut prendre en compte les jours en présentiel. « C'est idiot », réagit la leader syndicale pour qui « la prime est un moyen de diviser les gens. » « Nous préférons une revalorisation du métier », ajoute-t-elle.
« Une meilleure qualité du travail »
Laurine, Anastassia et Sylvie sont venues à trois de leur Ehpad de Saint-Fargeau, en Seine-et-Marne. Toutes les trois se déclarent assez pessimistes sur la suite qui sera donnée à leurs revendications. Elles se demandent si leur Ehpad associatif versera la fameuse prime. Et puis, de toute façon, pour elles, la question de la prime n'est pas le cœur du problème : il faut une « meilleure qualité du travail ».
« La précarité n'est pas un métier »
À quelques mètres de là, flotte un carton énigmatique : « L'action sociale, elle est vitale ». Aurélie, éducatrice spécialisée, travaille dans une Mecs dans le 19e arrondissement de Paris. Elle raconte que les deux mois n'ont pas été simples avec des enfants privés de la visite de leurs parents. Plus que la prime, là aussi incertaine, la jeune femme regrette surtout un déficit de reconnaissance. À ses côtés, Taous, maîtresse de maison dans la même Mecs. Elle se plaint d'être payée au Smic, d'être « maltraitée » et estime que dans ce secteur, les éduc ont besoin des maîtresses de maison et inversement. D'autres collègues brandissent des écriteaux sans ambiguïté : « La précarité n'est pas un métier » et « Éducateurs oubliés, enfants non protégés. » Sans conteste, les prochaines semaines devraient être combatives. Avis au pouvoir politique !