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Lieux de vie et d’accueil : l’utopie toujours en marche ?

Longs FormatsAurélie VION03 juin 2022
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Développés à la fin des années 1960, les lieux de vie et d’accueil (LVA) constituent des structures à part dans le paysage social et médico-social. Fondées sur le "vivre avec", accueillant de petits effectifs, elles semblent ces temps-ci susciter un regain d'intérêt, y compris chez les travailleurs sociaux.

« Il y a encore une quinzaine d’années, créer un LVA faisait un peu fou. Aujourd’hui, il me semble que les choses ont changé : je constate qu’il y a de plus en plus de personnes, notamment du travail social, qui portent des projets de création de LVA. »

Gwenaël Bailliard a travaillé huit ans comme assistant permanent au sein d’un LVA avant de créer le sien, en 2011, en Loire-Atlantique. En tant que secrétaire de la Fédération nationale de lieux de vie (FNLV), cet éducateur spécialisé de formation est régulièrement contacté par des personnes qui souhaitent se lancer.

Un manque d'information

Patrick Tesson, ancien responsable de LVA. DR

Cet intérêt à l’égard des LVA, Patrick Tesson l’observe également. Aujourd’hui retraité, il a consacré un livre à son expérience de responsable d’un LVA pendant 13 ans en Anjou.

Il a également ouvert un groupe Facebook baptisé « Le LVA. Une relation éducative. Pourquoi pas moi ? ».

« J’ai créé ce groupe il y a quelques mois et il compte déjà 1 515 membres. Il répond à un besoin d’informations et d’échanges, indique Patrick Tesson. Le groupe attire de nombreuses personnes issues du travail social : beaucoup découvrent les LVA. Il y a un manque d’information sur le sujet. On en parle encore très peu dans les écoles. »

Dans la mouvance de l’antipsychiatrie

Rien de nouveau, pourtant. Puisant leurs racines dans l’antipsychiatrie et le rejet de l’institution, ces microstructures ont été développées à la fin des années 60. Elles ont été reconnues et intégrées au code l'action sociale et des familles (CASF) par la loi 2002-2.

Aujourd’hui, il existe en France environ 500 LVA qui accueillent pour leur majorité des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) - 4 769 enfants fin 2019, selon la Drees - mais aussi des jeunes placés directement par l’autorité judiciaire, des mineurs ou des majeurs présentant des troubles psychiques et/ou des handicaps, ou encore des personnes en situation de précarité ou d’exclusion sociale.

« Vivre avec »

Ni famille d’accueil ni établissement, le LVA « vise par un accompagnement continu et quotidien, à favoriser l’insertion sociale des personnes accueillies », d’après le CASF, qui précise qu’il « constitue le milieu de vie habituel et commun des personnes accueillies et des permanents, dont l’un au moins réside sur le site où il est implanté ».

Ce qui réunit ces lieux, c’est donc le « vivre avec » qui se traduit par la présence de permanents et le partage des activités du quotidien. Autres dénominateurs communs : leur petite taille (la capacité d’accueil est de sept places maximum) et le fait qu’ils s’adressent plus particulièrement à des personnes qualifiées d’« incasables », car ayant mis en échec les institutions traditionnelles.

Des lieux hétérogènes

Les LVA sont très divers dans leur projet : certains s'appuient sur des supports spécifiques, comme le cheval, iici à la Chabraque, en Aveyron. Claire Burgain / SapienSapienS pour Le Media Social

Mais ce qui caractérise avant tout les LVA, c’est leur hétérogénéité. Chaque lieu est le reflet de la personnalité du ou des fondateurs, qui portent eux-mêmes le projet. Certaines structures s’appuient sur des supports pédagogiques spécifiques (maraîchage, soins aux chevaux, arts du spectacle…), d’autres non.

Leurs statuts aussi peuvent être extrêmement différents : association, société anonyme à responsabilité limitée (SARL), travailleur indépendant, société par actions simplifiées (SAS)…

Pas de modèle

Il n’y a pas de modèle type. « Les profils des porteurs de projets sont très divers : il y a des gens qui viennent du monde de l’animation, du monde du bâtiment, des éducateurs écœurés par l’institution qui recherchent une autre façon de travailler… », affirme Christian Borie, président de la FNLV et responsable d’un LVA dans le Lot depuis 34 ans. « Dans tous les cas, ce sont des personnes qui marquent un profond engagement. »

« Un choix de vie »

Pour Camille Marçais, exercer en LVA est « plus qu’un travail, c’est un choix de vie ». Elle-même a grandi dans un LVA fondé par sa mère, en Creuse, qu’elle a repris lorsqu’elle avait 20 ans, avant de créer le sien propre, il y a deux ans, en Gironde. Elle a une autorisation pour six jeunes dont l’âge peut aller de 3 à 21 ans.

Sur son terrain cohabitent deux maisons : celle où elle vit avec son mari et ses deux enfants, et celle occupée par les jeunes placés au titre de l’ASE. « Ils grandissent dans une vraie maison. On fête leurs anniversaires, ils peuvent inviter des amis… C’est un lieu ressource et sécurisant pour eux », souligne celle qui travaille avec trois personnes, dont un de ses frères.

Un accueil durable

Camille Marçais (2e en partant de la gauche), entourée de la petite équipe de son LVA, en Gironde. Elle-même a grandi dans un LVA fondé par sa mère. DR

Selon elle, l’autre grand point fort des LVA, c’est la permanence des personnes qui y travaillent : « Le fait qu’il y ait une petite équipe stable, toujours la même, qu’il n’y ait pas de roulement, ça fait la différence. »

L’accueil sur un temps long contribue lui aussi à créer un cadre stable et sécurisant permettant de mener des projets sur le long terme : « En général, nous accueillons les jeunes jusqu’à leur majorité. La durée moyenne d’accueil était de six ans en Creuse. Ici, nous avons toujours les mêmes jeunes depuis l’ouverture il y a deux ans », témoigne Camille Marçais.

Pas de diplôme requis

La jeune femme a souhaité passer le diplôme d’éducateur spécialisé mais il lui semble important que les profils des permanents restent ouverts.

« Il y a des débats autour de leur formation, qui n’est pas obligatoire. Historiquement, ce sont des lieux atypiques qui supposent davantage de savoir-vivre et de savoir-être qu’un diplôme. Personnellement, il m’a semblé important de suivre une formation, même s’il y a un vrai décalage entre la formation d’éducateur et le travail en LVA, qui implique des missions très variées. »

Le poids de l'institution